Paris, début des années 1990. Sylvia Delaunais et Louis Schlessinger, la vingtaine, mettent à être des jeunes gens modernes une très plaisante mauvaise volonté. Ils n'ont ni le goût de la fête ni celui du bonheur et érigent l'indécision et l'inaccomplissement en règles de vie. Sylvia est agrégée de mathématiques par vocation et scénariste pour le cinéma par le hasard des mauvaises rencontres et des bonnes fortunes. Louis a renoncé à Polytechnique pour les joies plus incertaines de la critique cinématographique. Il en tient pour la politique des auteurs, Sylvia lui préfère celle des hauteurs, perdue dans un rêve mélancolique de vie, de mort et de neiges éternelles à Davos sur les traces des héros de La montagne magique, son roman d'élection. Les deux se rencontrent, se frôlent, s'envisagent, se promènent et se loupent avec une jolie constance. Il y aura des films à la Cinémathèque, des festivals en province, des voyages, des retours aux pays natals, quelques faux frères (des mères folles, aussi) et des mauvais génies. Toute une vie... Il leur faudra vingt ans, et autant de deuils, de rendez-vous ratés, de promesses non tenues, pour oser donner un nom à ce qui les sépare sans cesse et prendre enfin acte de leur échec.
Vingt ans et plus de huit cents pages. Qui se dévorent à la vitesse à laquelle se consume la jeunesse. Va et dis-le aux chiens, l'impressionnant coup d'essai romanesque d'Isabelle Coudrier, est sans doute en cette rentrée française ce qu'il y a de plus proche de ce que les Anglo-Saxons appellent un "page turner". Education sentimentale en même temps que vaste chant d'amour (empêché, bien entendu), où l'ampleur et le classicisme de l'écriture servent les desseins lyriques de l'auteure, l'audace de son ambition romanesque. D'Isabelle Coudrier donc, on ne sait que peu de chose si ce n'est qu'elle fit ses armes de scénariste auprès du regretté Michel Béna et d'André Téchiné (soit ce que le cinéma français compte de mieux en matière d'élégies fiévreuses) et qu'elle a adapté Pierre Assouline et Dan Simmons, mais aussi, marque supplémentaire de goût, Yves Bichet et Nicolas Bréhal. Son livre est éblouissant de maîtrise, d'émotion, et d'une très curieuse tristesse allègre...
En décembre 1994, Isabelle Coudrier publiait dans la revue de cinéma Trafic (P.O.L) un beau texte intitulé "Encore une histoire d'amour". Oui, encore une.