Récit de voyage /France 3 avril Christian Garcin et Tanguy Viel

« C'est Tanguy qui, le premier, en a fait la remarque : la lenteur relative de ce voyage - sa particularité même, le fait de ne jamais quitter le sol -, loin d'élargir l'espace, rapproche paradoxalement les lieux. En somme, il suffit d'être patient [...]. Nous pouvions en témoigner : le monde est unifié, il y a une continuité, rien n'est inaccessible. Tout est à portée de main, ou de pieds. Lors d'un voyage en avion, le monde est morcelé. »

Drôle d'idée. Assez dans l'air, décroissant et adonné à la lenteur, du temps, ceci dit. Deux types qui en ont justement, du temps, et un tour du monde. Ils sont écrivains. On les découvre amis. Tanguy Viel et Christian Garcin. L'un, Garcin, dont on sait le goût des horizons lointains, et l'autre, Viel, dont on pouvait deviner celui de la mélancolie des paquebots bien que souscrivant volontiers à la phrase de Beckett : « on est cons, mais pas au point de voyager pour le plaisir ». Ils s'en vont, donc. S'embarquent sur un cargo à Marseille pour New York, les grandes plaines d'Amérique, le Pacifique, le Japon, la Chine, le lac Baïkal, la Sibérie, et un retour en Europe, là où tout a toujours fini de toute éternité, Auschwitz, fin du voyage. L'idée est de prendre son temps, de le perdre pour mieux le retrouver. Ce genre de choses. Il y aura donc des bateaux, on l'a dit, des trains, des voitures, même des chevaux. Il s'agit là de garder les pieds sur terre, de ne pas sacrifier aux nuages et à l'instantanéité tristement moderne du petit monde, du village global.

Bien sûr, au moins autant que le projet qui porte le livre, l'exercice littéraire est séduisant. Le défi qui consiste à faire dialoguer ainsi deux écritures jusqu'à les confondre l'une l'autre est aussi l'un des enjeux du livre. Il est pleinement accompli tant ce qui était une conversation le demeure tout en sachant aussi se transformer en quelque chose comme un murmure commun. Et puis il y a le monde, donc. Ce monde qui ici ne sacrifie jamais aux joies vulgairement profanes de l'exotisme. Ce monde qui s'apprivoise par la lenteur, c'est-à-dire aussi par l'ennui (magnifiques pages sur ces traversées maritimes comme des parenthèses ouvertes et jamais vraiment refermées sur le vide, l'immobilité, l'étrangeté d'un réel presque surréel). Pour reprendre l'interpellation durassienne, qu'ont-ils vu à Shanghai, dans l'Illinois ou à Oust-Bargouzine, Christian et Tanguy ? Ils n'ont rien vu bien sûr, car il n'y a rien à voir. Rien à comprendre. Seulement vivre, écrire, et proposer au troisième homme de cette infinie conversation, le lecteur, de les suivre.

Christian Garcin et Tanguy Viel
Travelling
JC Lattès
Tirage: 7 500 ex.
Prix: 19 euros ; 288 p.
ISBN: 9782709659697

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