Installé à Paris où il est maître de conférences à l'EHESS, le philosophe italien Emanuele Coccia qui a habité à Berlin, à Tokyo et à New York au gré de ses pérégrinations professionnelles et sentimentales, raconte qu'il a déménagé plus d'une trentaine de fois. Et c'est ce « donjuanisme domestique involontaire » qui l'a « contraint à étudier tout ce qui fait d'un lieu une maison ». Déménager lui a appris entre autres ça : « Les maisons n'existent pas ; seul existe le faire-maison, un très long ballet de domestication réciproque de choses et de personnes. »
De la part de l'iconoclaste auteur de La vie des plantes. Une métaphysique du mélange (2016) et de Métamorphoses (2020), on ne pouvait s'attendre à une vision classique de la maison. Il n'est affaire là ni d'architecture, ni de propriété ou de possession. La maison pour lui est autre chose et beaucoup plus. Ces lieux où il a vécu pour quelques mois ou quelques années n'ont jamais été à lui, dit-il, mais « ont dit "je" à [sa] place ». « Toute maison est une réalité purement morale : nous construisons des maisons pour accueillir, dans une forme d'intimité, la portion du monde - faite de choses, de personnes, d'animaux, de plantes, d'atmosphères, d'événements, d'images et de souvenirs - qui rend possible notre bonheur lui-même. ». Un espace psychique avant tout, en perpétuelle métamorphose. Habiter signifie donc « tisser une relation intense avec certaines choses et certaines personnes » et c'est pour cela qu'un espace géométrique entièrement vide, comme ce studio qu'il a occupé pendant quelques jours, « était physiquement inhabitable ».
Salle de bains, chambre et lit, cave et grenier, armoires - qui « cachent à l'intérieur d'elles ces portions mobiles de la maison, spécifiquement conçues pour affronter l'espace non-domestique : les habits » -, couloirs..., Emanuele Coccia visite du sol au plafond sa vaste maison philosophique. Sa réflexion s'aventure aussi du côté de la gémellité, de la paternité, de la cuisine, des forêts et des jardins, des réseaux sociaux dans lesquels il voit nos « nouvelles maisons digitales » tandis qu'il intègre également téléphone et ordinateur comme « des éléments domestiques, même quand ils se trouvent hors du périmètre de notre appartement ». Et jusqu'à l'écriture, « l'expérience la plus radicale du faire-maison ». Lui qui propose de changer de maison à chaque saison et imagine une maison du futur qui ferait « exploser la géographie et toute forme de généalogie », l'affirme avec originalité et poésie : « Le futur de la planète ne pourra être que domestique. »
Philosophie de la maison Traduit de l’italien par Léo Texier
Rivages
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782743654429