1 376 pages, 1 900 traducteurs répertoriés, une cinquantaine d'aires linguistiques, 67 contributeurs... Ces dimensions monumentales sont celles du premier volume, consacré au XIXe siècle, de l'Histoire des traductions en langue française réalisée sous la direction d'Yves Chevrel et Jean-Yves Masson. Tous deux professeurs de littérature comparée à la Sorbonne, ils ont initié voici cinq ans un projet de recherche qui trouve un premier aboutissement avec la parution de ce premier volume chez Verdier le 4 octobre. Trois autres suivront - un par an - pour embrasser une passionnante histoire des traductions, de leurs apports, de la façon dont elles ont été réalisées et diffusées... depuis le XVe siècle jusqu'à nos jours. Ce projet, soulignent les chercheurs, n'a pas d'équivalent dans le monde. Car sa particularité, dont découle son ampleur, est d'embrasser tous les domaines : la littérature aussi bien que le droit, la poésie comme les mathématiques, la philosophie et la biologie, la religion et la chimie... mais aussi, au XXe siècle, la bande dessinée et le cinéma.
Pour faire cette Histoire des traductions, il fallait une méthode : pas de notes de bas de page, avoir en main les traductions, les resituer dans leur contexte historique, en s'efforçant d'éviter tout jugement et de pratiquer la "neutralité bienveillante" chère aux psychanalystes... Le travail colossal d'inventaire devrait déboucher sur la création d'une base de données informatique pour laquelle Jean-Yves Masson recherche les crédits nécessaires.
Le XIXe siècle était la période sur laquelle les recherches étaient les plus avancées. Symboliquement, c'est aussi le siècle de l'essor des traductions en France. En 1914, écrivent les auteurs, "on peut avancer que la plupart des langues ayant produit des textes écrits, littéraires ou non, y compris un certain nombre d'oeuvres d'abord de tradition orale, ont fait l'objet de traductions en français". Ce qui ne va pas sans quelques décalages. "Des auteurs qui nous apparaissent aujourd'hui comme incontournables n'étaient guère connus en France à leur époque : Tchekhov, par exemple, était peu traduit hormis dans quelques revues belges », explique Yves Chevrel qui souligne l'importance des traducteurs belges, suisses ou même canadiens.
Le XIXe, c'est aussi le siècle de l'émergence d'une conscience européenne, celui de la reconfiguration du continent. L'édition se développe, la Convention de Berne pour la protection internationale des oeuvres littéraires et artistiques est établie en 1886. On note aussi, explique Yves Chevrel, "toute une réflexion sur le mode d'apprentissage de la traduction : comment coller au plus près du texte original et passer ensuite à la mise en "bon français". Ce qui prédomine encore au XIXe siècle, c'est le souci de donner un texte lisible. Ernest Renan a beaucoup insisté sur cet aspect." Le souci du texte original s'affirme pourtant. Pour preuve, les nouvelles traductions de Shakespeare : après les traductions de Le Tourneur ou de Voltaire, François Guizot revient aux textes sources. Shakespeare est un bon exemple de la vitalité de la traduction au XIXe siècle puisque François Guizot, mais aussi Francisque Michel ou François-Victor Hugo s'y attellent. De même, Don Quichotte, traduit depuis le XVIIe siècle, fait l'objet de 12 nouvelles traductions au XIXe siècle.
Histoire des traductions en langue française, sous la direction d'Yves Chevrel et Jean-Yves Masson, Verdier. Parution le 4 octobre. 1 376 pages, 48 euros, relié.