Quelques jours après la mort accidentelle de Paul Otchakovsky-Laurens, le 2 janvier, c’est lui, Dominique Fourcade, 80 ans, qui est devenu président d’honneur de la maison d’édition orpheline. Lui qui avait été l’un des premiers auteurs publiés en 1983, l’année de la création de P.O.L, inaugurant avec Le ciel pas d’angle le début d’un compagnonnage d’où sont nés une douzaine de livres. Lui, un parmi ce "nous, les deux cent cinquante-six écrivains de la maison", qui offre cette élégie à Paul, bref texte dont il a confié le manuscrit à Frédéric Boyer. Deuil est un poème pour dire la douleur, l’hébétude, l’arrachement, un livre, comme tous ceux "multipistes" de Dominique Fourcade, fait d’autres poèmes, un d’Emily Dickinson et un de Rilke, en langue originale, des souvenirs d’une pièce marquante du chorégraphe William Forsythe… "Placer les mots dans l’espace et le temps", c’est sa nécessité.
Simultanément, parce qu’il y a un an l’éditeur avait jugé le moment venu de les réunir, paraît un recueil d’entretiens sélectionnés par Hadrien France-Lanord et Caroline Andriot-Saillant. "L’air ici n’est que souffrance et deuil depuis sa disparition, sa mort change tout. Je ne dirai jamais assez combien ce livre répugne à paraître sans lui", a ajouté Dominique Fourcade dans la note précédant ce volume qui présente chronologiquement et sans notes des entretiens sous deux formes - ceux donnés à l’oral, les "improvisations", et ceux écrits, les "arrangements". D’un texte dans La Revue de poésie en 1971 à un dialogue avec Marie Richeux sur France Culture en 2014, Dominique Fourcade analyse son écriture et parcourt son œuvre. S’esquisse en creux un portrait de l’écrivain élevé dans deux langues, le français et l’anglais, qui ne voit pas de frontière entre la prose et la poésie, se nourrit de peinture (Matisse, Cézanne, Degas, Simon Hantaï), de danse moderne (Pina Bausch, Mathilde Monnier, Cunningham) et de musique, l’art "que techniquement je ne connais pas, mais c’est quand même l’art que j’admire le plus".
Prise parmi les réponses essentielles, cette observation livrée à Christian Rosset qui demande s’il faut présenter Dominique Fourcade comme un poète ou bien comme un écrivain, dans l’émission "A voix nue" sur France Culture en octobre 2000: "Il y a plusieurs sortes d’écrivains. Moi, je suis de la variante, si on peut dire, poète ; mais avant d’être poète, je suis écrivain, c’est-à-dire je suis quelqu’un qui écrit des mots. Je les écris, je l’espère, en poète. Mais on ne peut pas commencer par dire poète, parce que d’abord il y a des façons d’être poète sans être écrivain. Il y a mille façons d’être poète sans être écrivain. Matisse était un poète, Merce Cunningham aussi. Même quelqu’un qui ne s’occupe pas d’art peut aussi être un poète. Un poète pour moi, c’est quelqu’un qui fait passer les choses du non-être à l’être." V. R.