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Editis : pourquoi Vivendi revient

Le siège d'Editis au 30, place d'Italie à Paris. - Photo OLIVIER DION

Editis : pourquoi Vivendi revient

Le groupe qui avait cédé sa branche édition en 2002 la reprend seize ans plus tard, avec l'ambition renouvelée d'intégrer les métiers de production de contenus sur différents supports, avec leur diffusion et leur promotion. _ par Hervé Hugueny

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Par Hervé Hugueny
Créé le 23.11.2018 à 16h11

Après l'annonce, le 15 novembre, de l'accord de reprise avec Planeta, Vivendi attend l'avis de l'Autorité de la concurrence, d'ici à décembre ou janvier, pour confirmer le bouclage du rachat d'Editis. Mais ce ne sera qu'une formalité : le groupe présidé par Arnaud de Puyfontaine et contrôlé par Vincent Bolloré n'a plus d'activité dans l'édition depuis la cession de ce qui s'appelait alors Vivendi Universal Publishing (Vup), en 2002. Son retour dans le livre n'entraînera aucune concentration et ne réduira donc en rien la concurrence dans le secteur.

Yannick Bolloré, fils de Vincent Bolloré et président du conseil de surveillance de Vivendi.- Photo VIVENDI

La reprise pourrait même la relancer, avec un actionnaire qui aura plus de moyens que Planeta : perclus de dettes, le groupe espagnol (3,2 Mds d'euros de chiffre d'affaires en 2017, - 2,4 %) ne soutenait plus son fleuron français, qui a manqué l'essentiel des occasions de croissance externe qui s'offraient à lui, et a laissé filer quelques pépites parmi ses auteurs. Vivendi a réalisé 12,4 Mds d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier (+ 15 %), avec 1,03 Md d'euros de résultat opérationnel (+ 16,7 %). En 2002, il avait affiché une perte record de 23,3 Mds d'euros, pour 41,6 Mds d'euros de chiffre d'affaires, et était amputé de pans entiers vendus dans l'urgence pour éviter la faillite.

Arnaud de Puyfontaine, président du directoire de Vivendi.- Photo DR/VIVENDI

Cessions en série

Tous les dirigeants d'alors sont partis, dont l'emblématique Jean-Marie Messier, qui avait bâti un empire de dettes. Le groupe a cédé ses activités dans la téléphonie (SFR), les studios de cinémas et parcs d'attractions américains (Universal Entertainment), la distribution et l'assainissement d'eau (l'historique Générale des eaux), la presse et l'édition. Il reste la musique avec Universal Music Group, la télévision et la production de cinéma avec le groupe Canal+, les jeux sur téléphone mobile avec Gameloft, la communication avec Havas, les salles de spectacle avec Vivendi Village, et Internet avec DailyMotion, toutes filiales contrôlées à 100 %, comme le sera Editis.

Le modèle
Paddington

Le profil du groupe actuel apparaît finalement resserré sur ce qui devait être son cœur d'activité, et l'objectif proclamé de son P-DG déchu : proposer au consommateur « toutes les informations, les divertissements et les services de son choix sur tous les écrans de sa vie quotidienne » et créer des synergies entre des métiers de contenus. La différence est à chercher dans l'organisation de l'ensemble. Ce qui n'était alors qu'un conglomérat se veut aujourd'hui un groupe intégré, dont le tout vaudrait plus que la somme des parties en raison des échanges et complémentarités désormais mis en place. L'enjeu est aussi boursier : les holdings diversifiés à l'image de Lagardère (édition, média, travel retail et événements sportifs) n'ont plus la cote auprès des investisseurs, plus sensibles à la cohérence et à l'homogénéité des activités.

L'exemple idéal répété depuis l'annonce du projet de reprise en juillet est l'adaptation au cinéma par Studio Canal des albums de Michael Bond et Peggy Fortnum, Un ours nommé Paddington : « L'acquisition d'Editis enrichira les capacités créatives de Vivendi pour développer de nouveaux projets éditoriaux et de nouveaux types de contenus, et pour déployer des franchises à l'international sur le modèle de Paddington », affirme le communiqué publié la semaine dernière, lors de la signature de l'accord de rachat. Les deux films ont rapporté 495 millions de dollars (433 millions d'euros) au groupe.

« Nous favorisons les collaborations entre toutes les entités du groupe, à travers des structures par pays, lors de réunions dans lesquelles les directeurs des différentes activités ont appris à se connaître et à travailler ensemble », explique à Livres Hebdo un porte-parole de Vivendi, intarissable sur les exemples et les possibilités de coopérations entre UMG, Gameloft, Havas, Studio Canal ou le réseau des salles de spectacle. « Il est toujours possible d'acheter des droits à l'extérieur, mais dans un groupe intégré, il est plus facile et rapide de travailler en amont sur des projets de création, pour faire progresser les différentes composantes en confiance », ajoute le service de communication du groupe.

Sensibilité
au livre

La concurrence dans l'achat de droits audiovisuels à laquelle se livrent Netflix et Amazon pour la production de séries et de films peut expliquer aussi le besoin de contrôler en direct une source de création éditoriale. « Vivendi, qui était le premier éditeur de livres, est sorti de cette activité. Je peux toutefois vous dire qu'Arnaud de Puyfontaine n'a qu'une idée en tête : y retourner ! Je l'appuierai dans sa démarche, parce que je pense qu'il s'agit d'un élément essentiel de notre offre de contenus », déclarait Vincent Bolloré en juin 2016, lors d'une audition devant la commission de la culture du Sénat. « Quelques auteurs gagnent beaucoup d'argent, mais la plupart auraient besoin d'un grand groupe pour les soutenir », ajoutait-il, en mentionnant que sa mère fut pendant cinquante ans lectrice chez Gallimard, afin de montrer sa sensibilité au livre.

Les premiers contacts avec Planeta remonteraient d'ailleurs à cette période, selon des informations qui avaient alors circulé chez Editis. Cela peut expliquer que l'affaire se soit conclue si vite, aussi portée par les circonstances, entre l'urgence des échéances pour Planeta et les fonds dont dispose Vivendi : le groupe a cédé sa participation dans Fnac Darty pour 768 millions d'euros, et a réalisé une plus-value de 1,2 Md d'euros dans la revente de sa participation chez Ubisoft, suite à une tentative de prise de contrôle refusée par les actionnaires majoritaires.

Le groupe espagnol ne réalise pas une mauvaise affaire. Le prix payé par Vivendi représente 15 fois le résultat d'exploitation d'Editis, contre 11 fois lors de son achat à Wendel, en 2008. Si Planeta consent une moins-value apparente de 128 millions d'euros par rapport à son prix d'acquisition, il a encaissé à chaque exercice depuis 2008 plusieurs dizaines de millions d'euros de bénéfices annuels de sa filiale française, dont il avait déjà revendu un élément : en 2011, Editis a cédé le très prospère groupe belge De Boeck à un fonds d'investissement, qui en a revendu une partie quatre ans plus tard à Albin Michel.

La dynamique était plus importante dans la période Wendel : de 2004 à 2007, pour compenser la perte de la propriété et de la diffusion-distribution de Larousse, Dunod et Armand Colin (restés chez Hachette Livre), et de Dalloz (revendu par Hachette à Lefebvre Sarrut), le groupe financier avait soutenu Editis dans les reprises de First, Cherche Midi, DNL (diffusion-distribution dans les supermarchés), XO, Gründ, De Boeck et Paraschool. Il avait manqué de peu la reprise de la branche scolaire de Wolters Kluwer.

Avec Planeta, Editis n'a racheté, dans l'édition, que Sonatine, en 2014. La reprise de Volumen en 2015 n'a coûté que ses frais d'intégration, étant donné le lourd déficit de l'ex-filiale diffusion-distribution de La Martinière, qui la rendait invendable. L'opération devait préparer la reprise de l'ensemble de La Martinière/Seuil, finalement manquée au profit de Média-Participations. Et trois éditeurs littéraires emblématiques (Minuit, Corti, Zulma) ont immédiatement quitté Volumen/Interforum, suivis par Christian Bourgois. Les autres investissements relevaient plutôt de la diversification : Daesign, spécialiste des jeux sérieux racheté par Nathan en 2016, puis deux écoles de commerce en 2016 et 2017. Elles n'intéressent pas Vivendi et resteront chez Planeta.

Editis a aussi investi dans son outil de distribution, en le dotant d'une imprimerie intégrée, en partageant le risque avec l'américain Epac. Mais il a perdu des auteurs phares : Guillaume Musso, le plus important de tous, est passé de XO à Calmann-Lévy (Hachette Livre) ; Danielle Steel abandonnera les Presses de la Cité pour HarperCollins au printemps prochain ; Gilles Legardinier est passé de Fleuve à Flammarion en 2016. Les excellentes performances en scolaire en 2016 ont compensé ces déconvenues, mais ce marché est très irrégulier. La réorganisation des pôles littérature et pratique décidée par Pierre Conte en début d'année, la création d'un site Internet unique et l'investissement dans la production de livres audio doivent marquer une relance, alors que le groupe a perdu 13 % de part de marché de 2012 à 2017, selon GFK.

Une dimension supplémentaire

Les moyens de Vivendi devraient lui donner une dimension supplémentaire : c'est ce qu'exprime l'avis favorable des représentants du personnel dans le comité de groupe. Il n'était toutefois pas unanime, et une partie des élus se sont montrés inquiets des interventions possibles de Vincent Bolloré, à l'instar de la mise au pas de Canal+ et de iTélé. Le procès en diffamation que le patron de Vivendi a intenté contre Vincent tout-puissant (Lattès), à la suite de nombreuses autres actions en justice contre des médias, montre que la publication d'une enquête sur les activités de l'homme d'affaires sera à éviter chez Editis.

Planeta obtient des liquidités

Le stand Editis, Groupe Planeta, à Livre Paris 2018.- Photo OLIVIER DION

En cédant à Vivendi sa filiale française Editis, le groupe d'édition espagnol Planeta réalise une bonne opération financière. Le chèque de 900 millions d'euros permet au groupe fondé en 1949 par José Manuel Lara García d'éponger une partie de sa dette, évaluée à un peu plus de 1,2 milliard d'euros, et surtout de venir en aide à la société d'investissement familiale, Hemisferio, ruinée par la dépréciation de ses participations dans le groupe bancaire Sabadell dont il fut, en 2007, le deuxième actionnaire.

Basé depuis 2017 à Madrid, Planeta renonce en tout cas à ses ambitions mondiales hors du marché hispanophone où il entend conforter sa position de leader dans l'édition généraliste et scolaire, qui représente 60 % de son chiffre d'affaires total avec plus de 100 marques éditoriales. Sans Editis, le groupe espagnol ne figurera plus parmi les 10 premiers groupes d'édition mondiaux.

« Nous ne sommes pas obsédés par la taille du groupe. En ces temps mouvementés dans l'édition, c'est bien d'investir dans de nouveaux contenus et de prospecter [...]. Nous possédons par ailleurs des activités en plein essor, comme la formation [...]. Cette opération financière nous aidera aussi dans ces secteurs », ont assuré en juillet des sources internes au groupe, citées par le quotidien El País. Isabelle Contreras

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