Interview 

Correctrice indépendante en édition littéraire depuis une vingtaine d'années, Édith Noublanche vit et travaille dans un hameau d'Occitanie. Pour elle, malgré les contraintes, le métier de correcteur reste fascinant.

Livres Hebdo : Quelles sont les prérogatives pour envisager de se lancer dans la correction pour l'édition ?

Édith Noublanche : Impossible de s'improviser correcteur. Il faut de vraies connaissances, une curiosité illimitée et, surtout, une aptitude à douter de tout. Il faut vérifier tout ce que l'on croit savoir et bien sûr ce dont on n'est pas certain. Être bon en orthographe, aimer lire ou écrire ne saurait suffire, c'est même quasiment nager à contre-courant. Un correcteur effectue une lecture syllabique, à mille lieues de la lecture plaisir par conséquent. La bonne nouvelle, c'est qu'il existe tellement de maisons que l'on devrait statistiquement toujours trouver chaussure à son pied. Ce n'est pourtant pas le cas. Beaucoup se cassent les dents, faute de s'être assez penchés sur le métier en amont et de savoir pour qui et sur quel support ils veulent ou peuvent travailler.

Comment se passe concrètement la relecture d'un texte ?

Le correcteur indépendant qui s'est entendu sur une mission de correction avec l'éditeur va effectuer une relecture du texte qui lui est adressé. Il peut s'agir d'une préparation de copie ou d'une relecture d'épreuves. Pour un texte de 250 000 signes, il pourra selon la vitesse de relecture (la tâche) travailler 31,25 heures (8 000 signes/h), 25 heures (10 000 signes/h) ou 16,66 heures (15 000 signes/h). Il est donc important de caler précisément non seulement le prix, mais aussi la vitesse de relecture.

Tous les retraits effectués, toutes les charges acquittées, il reste au correcteur environ la moitié de ce qui a été facturé. Autant dire qu'il faut bien fixer ses prix... et beaucoup travailler.

Pourtant, il est impossible mentalement de faire trop d'heures à la suite. C'est une activité qui demande une attention de tous les instants. On doit, dans le même temps, corriger l'orthographe, la grammaire, la syntaxe, la typographie, la langue, vérifier la cohérence du texte, vérifier les informations. Il faut repérer les répétitions, les maladresses, les erreurs, et procéder à des harmonisations dans l'ensemble du document qui nous a été confié, et tout cela en temps limité. Je ne fais jamais moins de 2 000 interventions sur un texte.

Seuls, à l'arrivée, l'éditeur et l'auteur savent le travail qui a été fourni par le correcteur. Ce que le lecteur voit, c'est en revanche ce que le correcteur aura pu oublier des fautes commises par l'auteur. La correction peut être une tâche ingrate, les éditeurs mentionnent assez rarement le nom des correcteurs.

Quels sont vos rapports avec les maisons avec lesquelles vous collaborez ?

Les maisons d'édition font appel à nous. Elles nous proposent un travail, une mission, que nous allons ou non accepter d'effectuer. Elles sont nos clientes. Certaines maisons l'oublient, qui veulent tout fixer : tarif et délai, oubliant parfois qu'elles nous laissent seuls avec toutes les charges et responsabilités. Il faut donc batailler, car, indépendants, nous avons une entreprise à gérer et des charges à payer. On ne décide pas du tarif payé à un garagiste, à un boulanger ou à un coiffeur. Il doit en aller de même avec les correcteurs, métier pour lequel certaines maisons ont une vision un peu esclavagiste.

Mais quand on arrive à avoir une palette de maisons avec lesquelles on travaille bien et régulièrement, on arrive à dégager du chiffre et à fidéliser. Je fais partie des correctrices heureuses, mais ce n'est pas le cas de tout le monde.

Quelle est votre vision sur le recours à l'autoentreprenariat ?

L'autoentrepeneuriat est une aberration puisqu'il est le plus parfait non-statut qui soit. Aucune sécurité, aucun des acquis sociaux à disposition. Pourquoi dès lors y recourir ? Parfois sous la pression indirecte : il faut pouvoir facturer à une maison pour travailler, donc il faut avoir son numéro de Siret, donc être déclaré comme professionnel et payer ses charges à l'Urssaf. Parfois par choix : c'est mon cas. J'ai privilégié ma qualité de vie au quotidien, je vis dans un hameau d'Occitanie : aucune chance de trouver un poste de salariée dans ma branche en restant là où je réside. L'avantage du statut est la liberté : de temps d'exercice, de lieu d'exercice, de clientèle, etc. On nous fait en quelque sorte payer cette liberté.

Qu'est-ce qui vous séduit toujours le plus dans ce métier ?

Un aspect positif du métier est sa grande variété. On apprend tous les jours, et dans de nombreux domaines. Tant d'un point de vue linguistique, car la langue évolue, que du contenu. Mais on doit rester conseiller de l'auteur, et ne jamais se substituer à lui. On propose des choses, l'auteur dispose. Il faut vraiment voir ça comme un travail d'équipe. Si je compare avec le milieu automobile, on dira que nous sommes les mécaniciens ; on voit le pilote, c'est lui que l'on suit, mais l'écurie est essentielle, avec ses mécaniciens triés sur le volet. Nous faisons les réglages, apportons une plus-value au texte pour qu'il aille le plus loin possible et soit le meilleur possible sous la bannière de l'écurie (la maison) qui nous rémunère. Correcteur est une profession incroyable, mais souvent mal présentée.

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