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On a souvent comparé le commerce du livre à celui de la  pharmacie, notamment en matière de distribution et de régime de prix. Même si le vin et l’édition font plutôt bon ménage, les comparaisons avec la filière viticole sont plus rares. Un récent édito du Monde[1] pourrait cependant inciter à y réfléchir. Il y est rappelé que, face à une concurrence internationale effrénée sur le vin de soif, les viticulteurs français gardent de solides atouts sur le haut de gamme.

Les éditeurs indépendants anglais, dans leur conférence annuelle qui s’est tenue en début d’année, ne disent pas vraiment autre chose. Plusieurs d’entre eux y ont réaffirmé les risques de la surproduction et de la diversification, convaincus au contraire que leur salut se trouve dans des politiques de niche et dans la maîtrise complète du processus. C’est ce que tendent à confirmer les chiffres de Nielsen BookScan selon lesquels les éditeurs indépendants, avec un volume d’affaires qui a baissé de 3,9% en 2013, tirent "moins mal" leur épingle du jeu que l’ensemble des éditeurs britanniques qui ont vu leur chiffre d’affaires reculer de 6,5%.

Si le mouvement d’industrialisation de la filière du livre subit en Grande Bretagne comme en France (et ailleurs) de sévères remises en cause, notamment pour ce qui concerne la grande distribution et les chaînes de librairies, il connaît des formes nouvelles au premier rang desquelles se trouve le commerce en ligne.

Tout se passe néanmoins comme si, en contrepoint de ce mouvement, se développait toute une série de pratiques qui tendent à revaloriser la matérialité du livre et à le réinscrire dans le registre de la rareté. Monsieur Toussaint Louverture, avec une orientation esthétique "résolument vintage", Gallmeister, Sabine Wespieser Editeur, ou, dans le domaine de la jeunesse, MéMo s’inscrivent dans cette tendance qui emprunte  quelques traits de l’artisanat d’art : savoir faire personnalisé, rareté des biens, nombre restreint de points de vente, relation élective avec le public.

Poussée à ses extrémités, cette tendance révèle un certain nombre de croisements entre filière du livre et filière du luxe. L’une et l’autre entretiennent des échanges de valeur symbolique visibles dans quantité de vitrines de quartiers parisiens. Pour une part, ces croisements peuvent être compris comme une réponse à ce que Bauman[2] a décrit comme La Vie liquide : dans une société marquée par le consumérisme, la mobilité et la vitesse, le luxe ou plus sûrement les indices du luxe jouent un rôle de repères, d’éléments de stabilité visant à contrecarrer les conséquences de la consommation de masse en recréant de la singularité ou une illusion de singularité.

Outre le recul des grandes surfaces dans le marché du livre, le succès croissant des performances littéraires, des lectures d’auteurs ou de comédiens, des mises en scène de la littérature participe aussi du même mouvement de réinscription des supports de la littérature dans le registre de la rareté.

Irait-on ainsi vers une polarisation accrue de l’activité éditoriale qui verrait d’un côté une production de gros volume à consommer d’urgence avant qu’elle ne tourne au vinaigre, et d’un autre côté quelques arpents éditoriaux dignes de la Romanée-Conti ?


[1] Le Monde, 13 mai 2014
[2] Zygmunt Bauman, La Vie liquide, Le Rouergue/ Chambon, 2006. 

22.05 2014

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