On le connaît, cet Augustin, l’écrivain en panne d’inspiration d’Echapper. Le héros du nouveau roman de Lionel Duroy, on le suivait il y a peu dans Vertiges (Julliard, 2013, repris chez J’ai lu en janvier). Ce dernier est séparé d’Esther. Une femme au si beau et si troublant regard, aux yeux noirs pailletés d’or. Une femme qui a eu besoin d’air, besoin de retrouver la jeune fille qu’elle était avant de le rencontrer. Une femme qu’il aimait plus que tout et pour qui il aurait repeint la tour Eiffel en rose, si elle le lui avait demandé.
Le narrateur de Duroy, lui, est un homme qui tremble et déborde d’émotions. Qui pense n’avoir plus peur de rien, "c’est-à-dire plus peur de mourir, puisque qui peut le plus peut le moins". Bien qu’il ne parle pas allemand, Augustin s’est mis en tête de revenir à Husum, au nord d’Hambourg, dans le Schleswig. Un endroit où il s’est rendu en vacances d’hiver avec Esther. A cause d’un roman de Siegfried Lenz, La leçon d’allemand (Robert Laffont, 1970, repris en "Pavillons poche"). Un livre, déniché un jour en traînant chez Gibert, "naturellement", qui l’a totalement transporté. Un livre dans lequel il a trouvé refuge à un moment où son existence tanguait.
Pour l’heure, il rêve d’en écrire la suite. De le reprendre là où il s’arrête. Direction Husum donc, où il compte s’installer un moment, essayer de travailler. Et aussi visiter la maison-atelier d’Emil Nolde, le peintre mort en 1956, modèle du personnage de Max Ludwig Nansen dans La leçon d’allemand. Dans le roman, Max et sa femme Ditte habitent un village à quelques kilomètres au nord de la ville, Rugbüll. Village inventé qui a fasciné Augustin, avec sa digue, ses fossés, son phare et son moulin. Ce qui n’est pas étonnant de la part de quelqu’un persuadé que la vie est "grande et enviable dans les livres, intéressée et impitoyable sur la Terre". Le voyageur n’est qu’au début d’un long chemin. D’une route où il croisera des paysages et des êtres. Comme Klaus, le notaire qui aime Victoire de Conrad.
Ou encore Suzanne, la jeune femme qui peint et va lui traduire les lettres adressées à Emil Nolde par sa deuxième épouse, Jolanthe. Echapper colle aux basques d’un écrivain qui ne laisse jamais rien tomber, qui cherche sans cesse à accoucher de lui-même. Un prosateur soutenant qu’il tomberait malade s’il n’écrivait pas et qu’il écrit pour "rouspéter". Une nouvelle fois, il est évident que Lionel Duroy n’a pas son pareil pour raconter comment les vies basculent. Comment l’on peut échapper à sa détresse en allant de l’avant. A l’aventure. A la recherche d’une autre vérité, d’un autre amour. Alexandre Fillon