Il existe des milliers de héros anonymes. Des hommes et des femmes invisibles. Ils ne souhaitent pas recevoir de médailles, mais ils méritent d'être entendus. Il n'existe guère de mots pour décrire leurs fardeaux, ni de personne motivée pour récolter leurs paroles emplies de douleur ou d'horreur. Dunya Mikhail l'est pourtant, motivée. Cette journaliste et poétesse irakienne, enseignant l'arabe à l'université d'Oakland, a obtenu le Prix des droits de l'homme des Nations Unies pour la liberté d'écrire. Elle ne faillit pas à sa réputation en décrivant le sort des femmes yézidies.
Cette minorité, présente notamment en Irak, est désormais persécutée sans pitié. « C'est terrible d'être une fille avec Daech. » Si elle appartient à cette communauté, c'est encore pire... En ce XXIe siècle, des centaines de familles peuvent être vendues ou revendues, comme du bétail, « aux enchères à des combattants de Daech ». Et ce, dans l'indifférence totale. Un nombre incalculable de filles ou de femmes yézidies sont kidnappées, violées et réduites à l'esclavage sexuel. Dans la foulée, elles sont sommées de participer aux cours de Coran, afin de se convertir à l'islam. « Après avoir été violée, une sabiyya est appelée jariya, servante. On a alors le droit de la vendre ou de l'acheter au marché aux esclaves. Son prix peut varier entre 100 et 500 dollars. » Face à cette tragédie effroyable, la journaliste Dunya Mikhail va à la rencontre de celles qui ont connu l'enfer. Elle absorbe le récit de ces femmes, blessées à vie. Un cauchemar indescriptible. Gynécologue pour l'ONU, le Dr Nagham assure qu'elles ne retrouveront pas une vie normale, « mais nous tentons au moins de leur donner un sentiment de dignité. » Parmi ces victimes, il y a Nadia, une « jeune femme triste et transparente comme une larme » qui clame : « Chaque parcelle de mon corps s'est transformée entre leurs mains. Je ne veux pas parler de ce qui m'est arrivé entre quatre murs. Je veux le raconter au monde entier. »
C'est pourquoi ce livre se fait son porte-voix et celui de tant d'autres. Si certaines d'entre elles sont là aujourd'hui, c'est grâce au courage d'hommes comme Abdallah Shrem. Cet apiculteur, focalisé sur la beauté des abeilles, est un jour prié d'aider une jeune fille à s'évader. Abdallah n'hésite pas une seconde. Via son commerce de miel, entre l'Irak et la Syrie, il constitue un réseau indispensable au sauvetage des femmes yézidies. L'issue de chaque opération, périlleuse, demeure incertaine. « La guerre c'était un interrupteur qui éteignait la lumière. » Elle révèle le vrai visage des uns et des autres. Or « qu'est-ce que survivre quand le drame continue de vivre en vous ? Pour survivre, nous faisons semblant d'être mort ». Parfois cette mort est purement symbolique. Malgré tout ces survivantes sont conscientes de leur chance. Blessées dans leur chair et leur âme, elles se battent pour avancer ou témoigner. « L'espoir est notre pain quotidien. »
Captives. Un apiculteur au secours des Yézidies Traduit de l'arabe (Irak) par Stéphanie Dujols
Grasset
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 272 p.
ISBN: 9782246821533