Homer & Langley, le roman de saison de E. L. Doctorow, s'inspire de personnages excentriques et ayant bel et bien existé, les frères Collyer. Aveugle, Homer raconte qu'il a perdu la vue "comme au cinéma, un lent fondu au noir", avant ses 20 ans. De deux ans son aîné, Langley était alors étudiant en première année à Columbia. Homer s'habillait très bien, se rasait avec son coupe-chou sans jamais s'entailler la peau. Il jouait du piano et possédait une chevelure à la Franz Liszt, nous dit-il.
Homer et Langley appartenaient à la bonne société new-yorkaise. Leurs parents recevaient dans leur maison avec domestiques et passaient chaque année un mois à l'étranger, parcourant l'Angleterre, l'Italie, la Grèce ou l'Egypte. L'épidémie de grippe espagnole qui frappa la ville en 1918 les emporta tous deux. Une époque où Langley était parti faire la Grande Guerre, où il fut blessé sur le front occidental et soigné dans un hôpital parisien.
Homer se souvient des camps de vacances dans le Maine, de sa première "affection déclarée" pour une dénommée Eleanor. Il ne cessa ensuite d'aimer les femmes, entre Julia sa chère Hongroise et Jacqueline Roux, sa dernière muse, une journaliste française qui l'avait aidé à traverser la rue. Sous sa plume, voici encore Langley et sa théorie "du Remplacement", les thés dansants organisés chaque semaine, l'installation d'une Ford Model T dans la salle à manger, Ford dont le moteur devint un générateur.
Notre narrateur insiste sur l'esprit rebelle et accumulateur de son aîné ramenant sans cesse de nouveaux objets à leur domicile, sa manière d'être un amateur obsessionnel. Le lecteur, lui, remonte le siècle aux côtés d'un tandem vraiment peu banal. Au final, Homer & Langley s'avère le plus farfelu des romans de E. L. Doctorow, né dans le Bronx en 1931, dont on n'a pas oublié Ragtime (Robert Laffont, 1976, repris dans la "Bibliothèque Pavillons"), Billy Bathgate (Julliard, 1990, repris en "Petite bibliothèque de l'Olivier") ou plus récemment Cité de Dieu (L'Olivier, 2003, repris en Points).