Il y a des films maudits (L'Enfer de Clouzot, le Don Quichotte d'Orson Welles), des films jamais achevés par leurs réalisateurs pour de multiples raisons et dont on ne possède que quelques rushes. Et puis, il y a les films maudits dont on a même égaré les scènes tournées et montées. C'est le cas de L'île des enfants perdus. Jacques Prévert et Marcel Carné s'étaient inspirés de la mutinerie d'un bagne pour enfants à Belle-Île-en-Mer en 1934. Ce fait divers avait choqué l'opinion publique car les autorités avaient fait appel aux habitants et aux touristes pour récupérer les fugitifs avec une prime à l'appui.

Au printemps 1947, le tournage commence. Dans la distribution, on trouve Arletty, Serge Reggiani, Paul Meurisse, Martine Carol et la toute jeune Anouk Aimée. Le narrateur - Nicolas Chaudun lui-même - entreprend de raconter ce tournage, ses mésaventures, le changement de titre - il devient La fleur de l'âge - et surtout de retrouver les fameuses bobines, car il le sait, elles existent ! Grâce à son ami Philippe Claudel et à sa femme Dominique, il entre en contact avec Anouk Aimée, qui pourrait lui donner de précieuses informations sur ce qu'elles sont devenues.

Ce « romanquête » à la Eric Vuillard est habilement construit et joliment écrit. Nicolas Chaudun ne se contente pas de se focaliser sur cette pellicule fantôme. Elle en constitue certes le fil rouge, l'obsession récurrente, mais avant la pirouette finale, très visuelle, il livre avec beaucoup de finesse sa connaissance de ce cinéma d'avant-guerre, celui des titis gominés de Duvivier ou des militaires anars à la Renoir, un genre qui s'éteindra brutalement après la Libération sous les coups de boutoirs de la Nouvelle Vague dont Anouk Aimée fut une figure avec Un homme et une femme de Lelouch. L'auteur du Brasier (Actes Sud, 2015) évoque aussi les compromissions de l'Occupation et l'épuration assez douce dans le monde cinématographique si on la compare à celle qui s'exerça sur les écrivains.

Alors oui, il s'agit d'un roman dont tous les personnages sont vrais mais aussi d'une belle réflexion sur le cinéma, les actrices et l'émotion que ce septième art provoque toujours quand il produit le meilleur, le rêve d'un film jamais vu et sur lequel on projette son imaginaire.