Unique secteur éditorial à avoir vu son activité progresser en 2011, le poche semble ne pas connaître la crise. Certes, la fin d'année 2011 a été moins bonne et la baisse de fréquentation des librairies au début 2012 n'épargne pas le secteur. Mais le poche résiste, contre vents et marées. Les moyens déployés pour maintenir le dynamisme et la vitalité du secteur sont à la hauteur des enjeux financiers pour les maisons. "Le marché du poche est une exception française et représente un bon tiers du marché global du livre, dont la moitié avec le fonds, rappelle Marie-Christine Conchon, P-DG d'Univers Poche. C'est un marché très animé, sur lequel les éditeurs vont chercher le public."
Au moment où la TVA passe à 7 %, les éditeurs entendent bien conserver l'avantage qu'ils ont sur les prix et ont élaboré leurs nouvelles grilles avec vigilance, arrondissant les prix pour conserver des seuils psychologiques. Pour le fonds, lorsque les prix sont imprimés sur la quatrième de couverture, "nous transférons les nouvelles grilles aux libraires, avec un bon de commande indiquant les prix révisés", explique Cécile Boyer-Runge, directrice du Livre de poche. Pour Yvon Girard, directeur du développement éditorial de Gallimard, "la question du prix est cruciale : on ne doit pas profiter du fait que le poche est un refuge à bas prix pour l'augmenter. Ce refuge participe du fait que nos best-sellers sont encore plus des best-sellers. On remarque, pour les tirages de départ supérieurs à 50 000 ou 60 000, un effet d'auto-allumage ».
CERCLE VERTUEUX
Pour Folio, qui s'est retrouvé en haut du palmarès des meilleures ventes de poche l'an dernier avec La délicatesse de David Foenkinos, "l'année a été exceptionnelle », selon Louis Chevaillier, responsable de la littérature. Au final : "+ 5 % pour 2011, et + 10 % sur les romans, avec deux autres titres qui ont dépassé les 100 000 exemplaires : Trois femmes puissantes de Marie NDiaye et Le choeur des femmes de Martin Winckler, explique Laetitia Legay, chef de produit littérature. Même hors Foenkinos, on serait stable sur l'année. La force du fonds, accentuée avec le centenaire de Gallimard, fait que l'on subit moins les variations."
Toujours leader sur ce marché en 2011 selon Ipsos, Le Livre de poche a fini l'année à "+ 5 %, suite à plusieurs exercices positifs, se félicite Cécile Boyer-Runge. Nous avons une bonne dynamique sur tous les secteurs essentiels : littérature, thrillers, classiques... L'opération d'été a enregistré des taux d'écoulement exceptionnels. Nos coffrets ont permis une bonne fin d'année. Et 2012 démarre bien avec plusieurs best-sellers : Ken Follett, Mary Higgins Clark, Sofi Oksanen, R. J. Ellory..." Chez Univers Poche, "on se stabilise après la croissance de 2010, indique Marie-Christine Conchon. Sur l'ensemble du poche adulte, nous sommes à - 1,4 % en volume, mais à + 0,5 % en valeur. 10/18 repart à la hausse, à + 11,3 %, notamment grâce aux romans contemporains. Pocket marque le pas à - 1,7 % après une forte croissance en 2010, mais les fonds sont repartis à la hausse à + 6,3 %, ce qui est fondamental".
La nuance entre volume et valeur vaut aussi chez J'ai lu : "En volume, nous sommes en recul de 3 %, mais en valeur l'année est positive, à + 3,2 %, explique Anna Pavlowitch, promue directrice générale. C'est dû à la diversification des prix avec nos formats semi-poche. Sans nos hyper best-sellers, Fred Vargas ou Anna Gavalda, et en attendant Houellebecq, 2011 a été une année de transition qui nous a permis de relancer d'autres auteurs."
Chez Points, le chiffre d'affaires a progressé de "10 %, grâce à Jesse Kellerman, Henning Mankell, Michael Connelly, Arnaldur Indridason, qui ont dépassé les 100 000 exemplaires", selon Marie Leroy, devenue directrice générale adjointe, qui note aussi de belles performances sur les documents. "La marque se consolide d'année en année. Aujourd'hui, on vend beaucoup mieux nos best-sellers qu'il y a trois ou quatre ans. Nous sommes dans un cercle vertueux pour nos auteurs forts, qui progressent chacun de 10 à 20 %." L'année commence bien avec Rosa Candida d'Audur Ava Olafsdottir. Vendu à près de 80 000 exemplaires chez Zulma, le livre est un pari pour Points, qui ambitionne de transformer l'essai avec une promotion appuyée.
PRESCRIPTION INTERNET
Le poche s'affirme comme un amplificateur de succès, ce qui ne l'empêche pas de créer des phénomènes comme Cette nuit-là de Linwood Barclay chez J'ai lu : "On l'a vu monter sur les grands sites de vente en ligne. Les libraires étaient passés à côté, raconte Pierre-Jean Doriel, directeur du marketing de Flammarion. Nous l'avons réimplanté dans les réseaux traditionnels, les enseignes ont suivi tout de suite, ça n'a pas toujours été facile avec les libraires. Mais la prescription Internet est un vrai changement d'époque."
Le numérique n'a pas encore fait basculer le poche dans un autre monde, et rien ne dit qu'il le fera. Toutefois, le secteur va nécessairement évoluer, aucun éditeur ne le conteste. Ceux qui ont de nombreux inédits dans leur catalogue ont une carte à jouer. Comme 10/18, dont les "Grands détectives" sont vendus en numérique au même prix que le papier. «La meilleure façon de ne pas être en danger est d'être soi-même éditeur numérique, lance Anna Pavlowitch. La chance de J'ai lu est d'avoir 40 % d'inédits, surtout en littératures de genre, pour lesquelles le marché numérique existe. Depuis l'été, nous avons signé un grand nombre de contrats pour l'exploitation numérique des titres dont nous avons les droits premiers. » La mise en vente se fera au début de l'été, sous la marque J'ai lu.
Le Livre de poche numérise ses inédits et les met en vente depuis l'été dernier. La traduction de L'égaré de Stefan Zweig, la nouvelle offerte dans le coffret de fin d'année, est par exemple vendue 0,99 euro en numérique. "C'est encore un tout petit marché, auquel il faut évidemment s'intéresser. Notre premier objectif est de rendre l'oeuvre disponible. Nos prix sont voisins de ceux de l'édition papier, mais nous décidons au cas par cas. La question de savoir jusqu'à quel point il faut marquer la différence avec l'édition papier reste pour moi ouverte", décrit Cécile Boyer-Runge.
Tout l'enjeu réside en effet dans les prix pratiqués par les éditeurs détenteurs des droits premiers. "Il y a encore une vraie décote entre le prix du numérique et celui du poche. Mais lorsque l'on met le numérique au même prix que le poche, on touche un public similaire, relève Patrick Gambache, directeur général de Points et président de la plateforme Eden. Le poche subit une double peine. Si le numérique est vendu 30 % moins cher que le grand format, des gens qui préféraient attendre un an pour acheter le poche se décident. Cela vaut notamment pour les séries. On se fait cannibaliser une deuxième fois au moment où le prix du numérique descend au niveau du poche. Sans compter ceux qui iront en dessous du prix du poche !" "Aujourd'hui, dans les contrats, rien ne protège le poche, souligne Marie Leroy, chez Points. Il faut réfléchir à les faire évoluer, que cela passe par une négociation sur un délai à respecter pour l'exploitation en poche ou une offre financière qui prenne en compte le fait que notre marché sera rogné par le numérique à un moment. »
MARQUE SPÉCIFIQUE POUR LE NUMÉRIQUE
Reste à savoir sous quelle marque sera vendu un titre qui existe en grand format et en poche, dans un même groupe. Chez Libella, "on choisit la marque qui a la plus forte notoriété, au cas par cas, explique Lionel Besnier, directeur de Libretto. Quand les titres sont bien identifiés en Libretto, même si historiquement il s'agit du fonds Phébus, on utilise la marque Libretto. Mais nous dépendons aussi des aides du CNL pour la numérisation qui s'appliquent à l'édition de référence...". De son côté, Univers Poche lance ces jours-ci une marque spécifique pour commercialiser les titres numériques des différentes maisons (Pocket, Pocket Jeunesse, 10/18, Fleuve noir, Kurokawa) et créer des séries inédites ou des éditions enrichies, comme celle de Dessine-moi un Parisien (10/18) dont les illustrations sont animées par les étudiants de l'école Estienne.
Marie-Christine Conchon se dit confiante dans les atouts du poche : «Le discours selon lequel le numérique menace le poche repose largement sur ce qui se passe aux Etats-Unis. Or, quand le numérique est arrivé aux Etats-Unis, la situation du marché était très différente de celle du marché en France : il y avait peu de librairies et les habitudes d'achat en ligne étaient déjà très ancrées. En France, le poche est un produit de grande consommation et l'on crée notre marché, très clairement. Il a une puissance et une attractivité qui permettent d'entrevoir des lendemains qui rient encore un peu. » Pour elle, il n'est pas dans l'intérêt des groupes de sacrifier le poche sur l'autel du numérique : "Ce sont les éditeurs qui fixent et changent les prix. Or le poche pèse beaucoup sur le marché français, c'est un des piliers de nos groupes d'édition et un équilibre global."
Pour l'heure, les éditeurs misent sur leur premier atout dans le monde du papier : le fonds, qui représente la moitié de leur chiffre d'affaires (quand ce n'est pas 70 % chez Folio). J'ai lu l'a bien compris, qui en a fait un axe de développement. "En 2011, pour la première fois, le fonds est passé devant la nouveauté. C'est le résultat de la politique d'auteurs et de moyens humains accrus", se réjouit Anna Pavlowitch. "On arrive encore mieux qu'avant à promouvoir le fonds grâce aux nouveautés", estime Louis Chevaillier chez Folio, qui remet à l'office en mai Nos séparations, de David Foenkinos, avec une nouvelle couverture et de la publicité.
"Un catalogue d'éditeur, c'est comme un jardin fleuri : il exige un entretien permanent sinon tout fane très vite, souligne Laurent Boudin, directeur éditorial de Pocket. Tout ne peut pas être disponible en permanence et la librairie n'a pas la place de tout avoir. A nous d'animer le fonds en arrêtant par moments la commercialisation, en faisant ce qu'on appelle de la jachère, puis en remettant à l'honneur et en redonnant une actualité." D'où l'incessant renouveau graphique des couvertures. Lionel Besnier, chez Libretto, mesure les effets du coup de neuf donné à la collection de poche du groupe Libella depuis un an : "Les ventes des titres du fonds ont progressé de 20 à 30 % en moyenne. De plus, les nouveautés sont mieux suivies par les libraires, les mises en place progressent, on réimprime... On s'installe dans une économie poche à part entière."
En mai, Folio fait passer les couvertures de "Folio 2 euros" sous la nouvelle maquette adoptée depuis deux ans. 10/18 s'est offert pour ses 50 ans une nouvelle charte graphique réalisée par Rémi Pépin. "Toute une génération de libraires ne connaît pas les fonds. L'enjeu est de leur faire redécouvrir et de leur donner envie de lire. Nous avons programmé des auteurs qui ont fait l'histoire de la collection et ont ouvert la voie à d'autres", explique Emmanuelle Heurtebize, directrice éditoriale, citant Mon grain de sable de Luciano Bolis, Nous avons toujours habité le château de Shirley Jackson, mais aussi Bret Easton Ellis, Haruki Murakami, David Nicholls, Anne Ragde, Christos Tsiolkas, Paul Harding ou David Khara.
PARTENARIATS POCHE-GRAND FORMAT
Très en vogue, les prix de lecteurs permettent d'animer les catalogues et de communiquer sur les marques. Cette année, c'est Folio qui lance pour ses 40 ans le prix Campus, pour les 15-25 ans, avec Carole Martinez pour marraine. La sélection, établie par une quinzaine de libraires, sera mise en place en septembre. Convaincue des bénéfices de son prix du meilleur polar des lecteurs de Points, la filiale poche du Seuil envisage de décliner le prix pour les romans fin 2012 ou début 2013.
Et si le passage des auteurs d'un éditeur à l'autre fait partie du jeu extrêmement concurrentiel du poche, les éditeurs déploient leurs efforts pour récupérer certains noms. Ainsi, Pocket célèbre le retour d'Anne Rice dans son catalogue à partir de fin avril. L'éditeur a uni ses forces avec Plon pour racheter les droits de 14 titres, qu'ils vont republier ensemble sur trois ans, à commencer par Entretien avec un vampire (Plon) et Chronique de vampires : la reine des damnés (Pocket).
Les partenariats entre poche et grand format s'approfondissent avec des stratégies communes. Dans le groupe Editis, Pocket se rapproche des Presses de la Cité pour redonner un coup de jeune à Danielle Steel en créant un même univers graphique. En avril, Le Livre de poche fait une publicité conjointe avec Les Deux Terres pour Patricia Cornwell et réalise avec Galaade une plaquette commune sur Irvin Yalom en prévision de la venue de l'auteur à Paris en juin à l'occasion de la parution de sa nouveauté, Le problème Spinoza, le 19 avril (La malédiction du chat hongrois paraît en poche le 2 mai). Points s'associe à Attila pour Le nazi et le barbier d'Edgar Hilsenrath. Dans une même maison, la concordance est plus évidente. En janvier, Actes Sud a aligné les couvertures de "Babel noir" sur le graphisme d'"Actes noir".
Les auteurs eux-mêmes ont bien compris l'importance acquise par le poche. Ils profitent aussi de cette deuxième vie pour modifier et peaufiner leurs livres. Au Livre de poche, Alexandre Jardin a effectué des ajouts et des précisions à Des gens très bien ; Caroline Fourest et Fiammetta Venner ont retouché et mis à jour Marine Le Pen démasquée. Chez J'ai lu, Anna Gavalda a ajouté plusieurs chapitres inédits à L'échappée belle, qui paraît le 5 mai. Un argument de plus pour le poche.
Toujours à l'affût de croissances potentielles, les éditeurs investissent les secteurs dynamiques. Folio s'est lancé dans la BD en novembre avec l'objectif de la faire entrer dans le rayon poche. C'est plutôt l'inverse qui s'est passé, "mais les réactions sont très positives et les livres ont aussi été mis en colonne près des caisses", selon Louis Chevaillier, qui reste toutefois prudent : la prochaine livraison de quatre titres se fera en fin d'année. J'ai lu crée en octobre une ligne d'humour avec 12 titres par an, qui sera confiée à Christophe Absi, venu de Chiflet & Cie. 10/18 se redéploie dans la non-fiction à partir du deuxième semestre et reprend en lien avec Pocket, qui fête aussi ses 50 ans, les volumes des Arènes publiés avec Le Monde : Grands reporters : prix Albert-Londres (10/18) et Les grands procès : 1944-2010 (Pocket) seront lancés avec une PLV commune.
LECTEURS DE DEMAIN
Surtout, l'accent est mis sur la littérature de genre. C'est un des points forts de J'ai lu, qui se réorganise : Florence Lottin, nommée directrice littéraire, est chargée de fédérer les littératures de genre (fantastique, polar, érotique, féminin, SF...). "C'est important pour garder une part de marché face à des éditeurs spécialisés comme Bragelonne ou Harlequin, explique Anna Pavlowitch, directrice générale. Nous avons créé des binômes édito-marketing de gens qui connaissent extrêmement bien les genres. Avec leurs homologues du studio graphique et de la fabrication, ils forment des microstructures." La série Darklight, essentiellement composée d'inédits, est en plein essor. "Ces lecteurs de 15-35 ans sont nos lecteurs de demain. Ce sont de très gros lecteurs, qui ne lisent pas la presse, regardent de moins en moins la télévision... Tout se joue sur les forums et les blogs", analyse Pierre-Jean Doriel chez Flammarion.
Points renforce la ligne "romans noirs" dont va s'occuper Véronique Ovaldé, venue d'Albin Michel, qui est aussi chargée des collections "Signatures" et "Poésie". Pocket fusionne ses collections polar et thriller en une seule, avec une goutte de sang en guise de nouveau logo, et met l'accent sur les romans historiques, en progression, avec des couvertures modernisées. En non-fiction, la collection "Evolution" fait l'objet d'une nouvelle segmentation avec des graphismes spécifiques pour spiritualité, philosophie, développement personnel, santé, bien-être. En revanche, l'éditeur suspend sa collection sentimentale "Les romanesques", lancée l'an dernier, pour la repositionner en 2013.
La relance, en fin d'année, de "Point 2", le format horizontal et compact lancé par Points en avril 2011, semble porter ses fruits. Avec un nouveau graphisme, des prix abaissés de 1 euro (qui ne changent pas avec la hausse de TVA), « Point 2 » bénéficiera d'une campagne d'été typique du poche : un titre offert pour deux achetés. Le monde du bout du monde suivi du Neveu d'Amérique de Luis Sepulveda sera envoyé aux libraires pour toute commande de quatre exemplaires, en appui de onze nouveautés, dont Je suis vivant et vous êtes morts d'Emmanuel Carrère. "Il faut du temps pour lancer une nouvelle collection qui change le sens de lecture. Mais on voit que les choses prennent", souligne Patrick Gambache.
Dans le poche comme ailleurs, c'est l'offre qui crée le dynamisme. Les neuf prochains mois de 2012 ne devraient pas décevoir. Le Livre de poche publie La fortune de Sila de Fabrice Humbert (fin mars), L'envol des anges de Michael Connelly et Le cimetière de Prague d'Umberto Eco en mai. Les deux premiers tomes de 1Q84 de Murakami arriveront chez 10/18 en septembre. Points programme Freedom de Jonathan Franzen en août avec un office spécial, et à l'automne Une femme fuyant l'annonce de David Grossman, ainsi que Le cas Sneijder de Jean-Paul Dubois. Folio reprend en mai Le léopard de Jo Nesbø, Le trottoir au soleil de Philippe Delerm et une édition limitée du rouleau original de Sur la route de Jack Kerouac à l'occasion de l'adaptation du roman à l'écran par Walter Salles. Il prévoit aussi au second semestre Jean-Christophe Rufin, Tonino Benacquista, Nicolas Fargues, Orhan Pamuk, Atiq Rahimi et Ian McEwan.
J'ai lu annonce pour octobre Jusqu'à la folie de Jesse Kellerman. Pocket donne rendez-vous avec ses auteurs stars, Douglas Kennedy, Marc Levy ou encore Guillaume Musso. En mai, Babel propose La princesse des glaces de Camilla Lackberg, Infrarouge de Nancy Huston et Invisible de Paul Auster, après une opération « trois pour deux » en avril. En fin d'année, Babel pourra compter avec L'hypnotiseur de Lars Kepler et La couleur des sentiments de Kathryn Stockett. Et le volume 3 de Millénium arrivera bien en... janvier 2013.
Le poche en chiffres
LA LOI DES SÉRIES
Après le cinéma, c'est au tour des séries télévisées de devenir les grandes alliées du poche. Le Livre de poche se lance sur ce créneau porteur avec le premier tome de The walking dead de Robert Kirkman et Jay Bonansinga, qui met en scène le "Gouverneur" (semi-poche, 8,10 euros). Le 2e volet de cette trilogie inédite est prévu à l'automne. D'abord bande dessinée, The walking dead est devenu une série TV, puis un roman qui raconte l'ascension du personnage du Gouverneur. "Il offre quelque chose de nouveau au lecteur par rapport à ce qui existe déjà, explique Cécile Boyer-Runge, directrice du Livre de poche. Si le succès est au rendez-vous, nous pourrons envisager de développer ces initiatives."
J'ai lu, qui a pris une longueur d'avance dans le domaine, intensifie son effort. Après Le dernier des Mad Men de Jerry Della Femina (2011), la filiale poche de Flammarion a programmé trois nouvelles séries cette année : God hates us all de Hank Moody (Californication), Boardwalk empire de Nelson Johnson et The corner de David Simon (The wire). Ces titres demandent un travail et une veille spécifiques sur Internet. Car, analyse Pierre-Jean Doriel, directeur du marketing, "depuis deux ans, le contournement des libraires, de la presse, des chaînes télé s'est accéléré. Le lectorat ne rentre plus dans les cases institutionnelles qui existaient depuis 30-50 ans. Nous y sommes extrêmement vigilants ». Les romans de Charlaine Harris, qui ont inspiré True blood, ont commencé à s'écouler en France avant la diffusion de la série, et les ventes cumulées dépassent aujourd'hui 400 000 exemplaires.
Toujours plus beaux
Depuis quelques années, un vent rafraîchissant souffle sur les couvertures des livres de poche, que les directeurs artistiques s'ingénient à moderniser.
Des images plus simples et plus fortes, des noms d'auteurs agrandis, des quatrièmes de couverture allégées... La mode du poche est à la sobriété efficace et à la valorisation des auteurs. Les refontes des couvertures menées par les principaux éditeurs ces dernières années vont aussi toutes dans le sens d'un embellissement de l'objet, qui est désormais voué à durer. Directeur artistique de Flammarion et de J'ai lu, François Durkheim rappelle les fondamentaux : "Il faut créer des pièges à regard, pour être vus de loin dans un univers très fortement concurrentiel. On est plus petit que le grand format, donc il faut parler plus fort. » Depuis le début d'année, J'ai lu a renouvelé sa charte graphique après avoir fait réaliser une étude par un cabinet extérieur, qui a identifié un déficit de lisibilité des couvertures. Du coup, les auteurs sont remis en avant, noms et prénoms ensemble, avec une typographie bâton. Le titre est plus petit mais mobile pour se mêler à une image qui a été simplifiée. "Auparavant, le poche constituait surtout la marge bénéficiaire des groupes ; aujourd'hui c'est un livre à part entière, qui mérite autant d'attention que le grand format, souligne François Durkheim. Les lecteurs ont une relation affective très forte avec l'objet. Des images marquent des générations et, pour certains, c'est un peu la madeleine de Proust. » C'est pour cela que Le Livre de poche a repris les illustrations originales de Koenigsmark de Pierre Benoit, réédité pour les 50 ans de la mort de l'écrivain. "Ce titre était le numéro 1 du Livre de poche ! Nous avons fait des tests avec d'autres images, mais ça ne fonctionnait pas. Le livre était identifié à cette illustration », justifie la directrice de la maison, Cécile Boyer-Runge.
POP ET FLASH
>"Les éditeurs créent leur propre obsolescence. Nous créons notre contrainte et sommes obligés de refaire régulièrement les couvertures », estime Marie-Christine Conchon, P-DG d'Univers Poche. La nouvelle charte graphique de 10/18 réalisée par Rémi Pépin a été très vite adoptée par les libraires et les lecteurs (1). Ce qui pousse aussi à rapidement réimprimer le fonds avec les nouveaux codes. En mai, Folio passe "Folio 2 euros" dans les codes de la nouvelle charte qui a redynamisé l'ensemble de la marque poche de Gallimard depuis deux ans. "Nous avons travaillé des couleurs pop et flash, et nous faisons des zooms sur les images, comme la collection le fait sur les oeuvres en proposant des extraits », détaille Anne Lagarrigue, directrice artistique de Gallimard, qui revient sur le travail mené pour la nouvelle charte : "Il y a tellement de collections dans Folio qu'il ne fallait surtout pas être alambiqué, afin que la charte puisse s'adapter à toutes. Nous avons voulu être modernes, et durer : il ne s'agit pas d'en avoir marre au bout de six mois ! » Pour illustrer, elle privilégie les photos, "plus dans l'air du temps. Notre culture visuelle est aujourd'hui davantage dans l'immédiateté. De plus, le poche, à mes yeux, ce sont les jeunes : il faut accrocher leur regard, les intriguer. Les capter est un défi permanent ».
Reflets des politiques d'auteurs des éditeurs, des univers graphiques particuliers sont créés. Chez J'ai Lu, Nancy Huston et Véronique Ovaldé ont leur illustratrice attitrée : Delphine Dupuy pour la première et Anne-Lise Boutin pour la seconde. "Nous travaillons comme pour un casting », s'amuse François Durkheim. Le graphisme sert aussi à repositionner un auteur, à élargir son public. C'est l'objectif pour Danielle Steel ou Juliette Benzoni chez Pocket. "Nous avons envie de continuer à faire lire les mères, mais aussi envie de faire lire leurs filles, voire leurs petites-filles », lance Laurent Boudin, directeur éditorial.
Les matières sont elles aussi retravaillées. Pour ses 40 ans, Folio emballe ses éditions spéciales dans des jaquettes colorées avec vernis sélectif pour rendre une impression de sérigraphie. Folio policier s'est mis à la page avec un vernis mat. Car en poche aussi la matière des couvertures se travaille. Avec des limites : si les techniques sont plus accessibles, les éditeurs surveillent toujours leurs coûts.
(1) Voir "10-18 s'offre un lifting pour ses 50 ans", dans LH 890 du 16.12.2011, p. 45.