Pour les municipales, Livres Hebdo affiche une seule politique : faire avancer la cause du livre et de la lecture. Au-delà du clivage gauche-droite, nous présentons ici sept villes "très livre", c’est-à-dire qui mènent une politique déterminée, dynamique et astucieuse pour mettre des livres entre toutes les mains, favoriser autant que possible l’accès à la lecture.
Bien d’autres villes, heureusement, mériteraient le coup de projecteur que nous donnons à celles que nous avons sélectionnées pour ce numéro. Et nous nous emploierons à les mettre à leur tour en valeur chaque fois que possible.
Mais celles que nous proposons ici ont affiché dans leurs actions envers le livre une cohérence qu’il nous a paru nécessaire de faire apparaître.
Nous avons choisi de mettre sur le même pied d’égalité des petites villes comme Aubenas ou Creil, de grandes métropoles régionales telles Le Havre, Limoge ou Brest, une ville de la banlieue parisienne comme Vincennes et même la capitale qui, dans le domaine du livre, est sortie assez récemment de sa léthargie et a comblé en quelques années son retard concernant les bibliothèques.
Nos critères ont été l’énergie consacrée à rendre le livre vivant et séduisant pour le plus grand nombre à travers une politique de lecture publique innovante, l’organisation de salons ou de festivals appréciés de tous, une aide soutenue aux librairies indépendantes. <
Aubenas : le livre pour structurer le territoire
Heureuse anomalie en terre rurale, Aubenas accueille six librairies, une médiathèque et deux festivals littéraires qui lui permettent de rayonner bien au-delà de son bassin de vie.
C’est étonnant de trouver une telle librairie à Aubenas." La phrase, souvent entendue par Stéphane Crozier à propos de son magasin spécialisé jeunesse, Le Tiers-Temps, colle parfaitement à la particularité du seul pôle urbain du sud de l’Ardèche. Moins peuplée qu’Annonay, 13 000 Albenassiens contre 17 000 Annonéens, elle affiche pourtant à son compteur six librairies, contre deux pour son équivalente du nord du département. Et ce malgré la fermeture récente du Chapitre que l’ouverture d’une Maison de la presse avec un fort rayon livre généraliste tente toutefois, depuis la mi-décembre, de compenser.
Un public qui dépasse Aubenas.
Pour expliquer cette "anomalie", il faut d’abord se pencher du côté de la mairie où Jean-Pierre Constant (UMP) officie depuis 2001. Aubenas consacre en effet 15 % de son budget global, soit 2 millions d’euros, à la culture et au patrimoine, ce qui en fait "le second budget de la ville", souligne avec fierté Jean-Yves Meyer, premier adjoint chargé de la culture depuis treize ans. Une enveloppe dans laquelle le livre occupe une place prépondérante. Avec son budget annuel de 800 000 euros, la médiathèque Jean-Ferrat, qui a vu le jour en 2007, est en effet le fer de lance de la politique municipale. Véritable pôle culturel de la ville, elle draine, grâce à ses 2 072 m2, à ses 96 000 documents et à sa centaine d’animations annuelles, un public élargi qui dépasse nettement les strictes limites d’Aubenas. Une ambition initiale qui figurait dès le départ dans le cahier des charges de la médiathèque, et dont le fonctionnement, original, reflète cette volonté : elle est financée à 50 % par l’intercommunalité qui reverse un fonds de concours à la ville chaque année.
Dotée de 18 agents et cadres qualifiés, dont deux personnes chargées du service animation, la médiathèque se veut "un lieu de conseil, d’animation, de rencontres et de sociabilité ouvert à tous et un opérateur structurant pour tout le territoire", précise Marie-Laure Alliot-Lugaz, qui la dirige depuis dix ans. Pour cela, la directrice s’appuie également sur un tissu associatif riche, qui la sollicite "en permanence et au-delà même de [sa] capacité de réponse", et elle n’hésite pas à organiser dans ses murs des événements qui "cassent les codes pour désacraliser le lieu", comme des défilés de mode ou des concerts.
Contes et BD.
Pour autant, l’action de la mairie ne s’arrête pas aux portes de sa bibliothèque. Au printemps, deux temps forts sont réservés au livre. En juin, l’heure est au conte avec une vingtaine de soirées disséminées au sein de l’intercommunalité, alors que le dernier week-end de mai porte la BD à l’honneur avec le Carrefour européen du 9e art et de l’image. Imaginé par Claude Moliterni, cofondateur du Festival d’Angoulême, et porté par Jean-Yves Meyer, l’événement attire plus de 1 500 visiteurs grâce à ses dédicaces, ses expositions, ses tables rondes et ses ateliers scolaires animés par une partie des auteurs invités, parmi lesquels figurent de grands noms : Tardi, Druillet, Van Hamme, Julliard, Mézières, Jul ou Lax.
Toujours portée par la mairie mais ouverte sur l’ensemble de la culture d’un pays, la semaine des "invitations", qui a eu lieu fin février et accueille cette année la Roumanie, offre également l’occasion d’apporter un éclairage sur la littérature étrangère. Venu dans les bagages du poète et slameur Julien Delmaire pour l’édition dédiée à l’Afrique de l’Ouest en 2011, le libraire lillois Maxime Forcioli a été particulièrement séduit par l’accueil et l’engouement du public pour le livre. Un an plus tard, il saute le pas et reprend Le Grand café français d’Aubenas pour en faire un café-librairie qui compte aujourd’hui un stock de plus de 6 000 titres teintés d’éclectisme. Avec une dizaine d’animations par mois, dont certaines élaborées en partenariat avec les acteurs de la mairie dont la salle Le Bournot, centre culturel local, l’établissement est devenu l’un des opérateurs marquants de la ville. Fin octobre, Maxime Forcioli a ainsi mis sur pied le Bazar rock, un mini festival qui réunit musique et littérature, un alliage qu’il aime à reproduire afin "d’éviter la gentrification du lieu lié au livre".
Avec les scolaires.
Si l’ambition d’Aubenas est de bâtir des passerelles entre les cultures, les pays et les classes sociales, la ville n’oublie pas le public plus jeune. S’appuyant sur ses 6 000 scolaires, elle a notamment mis en place le tremplin "Bouge de l’art", qui propose, chaque année, une quinzaine d’ateliers où des artistes présentent leur métier et leurs créations. "Ce dispositif de soutien et d’accompagnement à l’éducation artistique et aux pratiques d’amateurs permet aux jeunes de se familiariser avec différents domaines de création et facilite leur fréquentation de la bibliothèque, des librairies ou de spectacles plus pointus vers lesquels ils n’iraient peut-être pas spontanément", analyse Jean-Yves Meyer. Un autre levier pour dynamiser le livre auprès des jeunes est à chercher du côté de l’enseignement. Professeur d’histoire-géographie au collège Saint-François-d’Assise, Jean-Philippe d’Abrigeon a créé un atelier de pratique artistique autour du manga : dessin, discussion et partages de lectures… Une heure par semaine, vingt-cinq collégiens échangent autour de leur passion commune. Le club manga, élargi à la BD, accueille également trois à quatre fois dans l’année un auteur lors d’ateliers qui peuvent durer une journée. Ces rencontres s’opèrent généralement en partenariat avec une librairie de la ville et permettent "de fidéliser efficacement un lectorat autour d’un auteur en tissant des liens beaucoup plus profonds qu’une simple dédicace lors d’un salon", note l’enseignant. Ce genre de dynamique, Stéphane Crozier, qui a toujours étayé le CA de sa librairie grâce à l’animation culturelle (voir encadré), souhaiterait en voir les signes encore plus souvent au sein d’Aubenas. Bénéficiant de longue date du marché public de la médiathèque, elle aimerait toutefois pousser encore plus le partenariat et forger davantage de projets communs avec les enseignants de la ville autour de la littérature jeunesse. "Ensemble, on aurait forcément plus de poids", soupire la libraire. Cécile Charonnat
Brest : l’innovation au service du livre
Avec son riche vivier d’auteurs, l’une des plus grandes librairies de France et une future bibliothèque à la pointe de la modernité, Brest cultive son goût pour la lecture, inébranlable depuis plus de quarante ans.
Littéraire. Même si ce n’est pas forcément le premier mot qui vient lorsque l’on évoque Brest, l’adjectif colle bien à la ville. D’abord parce qu’elle a vu naître ou a hébergé quelques écrivains célèbres, parmi lesquels Henri Queffélec, Alain Robbe-Grillet, Jean-François Coatmeur ou Tanguy Viel, et qu’elle en a inspiré de multiples autres, tels Mac Orlan, Jean Genet ou, plus près de nous, le dessinateur de BD Kris et le touche-à-tout Arnaud Le Gouëfflec (voir p. 93). Et parce que, parallèlement à ce rôle de muse, Brest est également une ville où la lecture est fortement enracinée. En témoignent un équipement municipal très dense composé de dix bibliothèques et la présence de l’une des plus grandes librairies de France.
Avec ses 1 600 m2 et ses 130 000 références en moyenne, Dialogues, créée en 1976 par Marie-Paule Kermarec et son frère Charles, capte des clients bien au-delà des 140 000 Brestois. C’est que, outre sa taille, elle se distingue aussi par sa capacité à être pionnière dans à peu près tous les domaines. Première à avoir installé des sièges au sein de ses rayons, première à avoir créé un café au cœur de la librairie et l’une des premières à s’être lancée sur le Net, ce qui lui confère aujourd’hui une expertise précieuse en la matière avec, notamment, le site mutualiste ouvert à tous les libraires de France, Leslibraires.fr.
Avec ses 220 rencontres en 2013, un rythme qui sera toutefois ralenti en 2014 pour tomber à une grosse centaine, son club de lecture relayé sur un blog, sa chaîne de TV sur YouTube, ses podcasts, ses chroniques hebdomadaires radiophoniques et son émission mensuelle produite et conçue pour la télé locale Tébéo, Dialogues se veut également un acteur culturel incontournable de la ville. "Le rayonnement de cette librairie et sa force de vente prouvent qu’à Brest on lit beaucoup", remarque Kris, qui se souvient avec émotion du score réalisé par Dialogues lors de la sortie de sa BD produite avec Etienne Davodeau, Un homme est mort. "Avec plus de 5 000 exemplaires vendus, la librairie est devenue une légende chez Futuropolis. Le revers de la médaille, c’est qu’elle assèche un peu le reste du tissu local. Du coup, on a peu de librairies, mais c’est le haut du panier."
Les bibliothèques au cœur de l’action.
Par rapport à la taille de la ville, le nombre de librairies brestoises se révèle en effet plutôt maigre : huit avec l’Espace culturel Leclerc situé en périphérie. De la même façon, hormis le festival Ici & ailleurs, consacré au carnet de voyage et qui se tient tous les deux ans au printemps, la ville ne dispose pas d’événements ou de manifestations propres au livre. "Le réseau de bibliothèques, très actif, focalise toutes les attentions et les énergies de la municipalité", regrette ainsi Galaad Prigent, fondateur de La Petite Librairie qui a tenté de monter, sans succès, son propre festival, qui aurait eu lieu dans son magasin, centré sur la fiction et de la création.
Les bibliothèques municipales constituent en effet l’autre axe de soutien à la lecture et au livre de Brest. Le réseau, constitué à partir des années 1970, a toujours bénéficié de moyens humains et financiers qui ont garanti son entretien et sa rénovation constante, et ce quelle que soit la couleur de la mairie, tenue depuis 2001 par François Cuillandre (PS). Pour Nicolas Galaud, directeur des bibliothèques municipales, la force de ce réseau réside principalement dans sa "proximité avec la population. Les dix établissements couvrent tout le territoire et dans chaque fiche de poste définissant les tâches des agents figure l’obligation de nouer des partenariats avec les différents acteurs du quartier." Le réseau est donc capable de proposer une manifestation par jour ouvrable, soit 250 environ par an. Et comme chez Dialogues, l’habitude de l’expérimentation et de l’innovation a amené Brest à être précurseur, notamment dans les nouvelles technologies. En 2006, la ville a ainsi été la première à créer un réseau wiki, Wiki-brest.net, qui s’est depuis enrichi d’un blog accueillant les critiques de lecture du jeune public et d’un portail des savoirs qui propose notamment des cours en ligne et qui relaie les rencontres de Dialogues. La ville s’est également inscrite dans le projet du prêt numérique en bibliothèque.
L’arsenal des Capucins.
L’innovation est aussi le mot d’ordre qui a présidé à la conception du grand projet brestois en matière de lecture publique. Au début de 2016, la ville disposera d’un équipement ultramoderne, qui s’inscrit dans un projet urbain de grande ampleur, Les Capucins. En lieu et place de l’arsenal militaire s’étendront un quartier d’habitations et un pôle culturel et de loisirs où la future médiathèque devrait jouer un rôle de locomotive et de tête de pont de l’ensemble du réseau, dépassant son rôle de mise à disposition des ressources pour s’apparenter à un véritable centre de formation, d’éducation et de diffusion des connaissances. Sur presque 10 000 m2, elle proposera donc en libre accès 120 000 documents sur tous supports, répartis en cinq univers thématiques et dont une partie est en cours d’acquisition pour un budget total de 500 000 euros. Le projet, qui nécessite de mettre sur la table 22 millions d’euros, devra remplir trois missions. La première est sociale, avec la volonté de faire de la médiathèque un "troisième lieu" de vie, d’échange, d’expression et de rencontres qui offrira de nombreuses places de convivialité. La deuxième est économique, puisque le lieu proposera des services aux entreprises tels des espaces de coworking, d’autoformations, un laboratoire et une cantine numériques en association avec des acteurs innovants ainsi qu’un relais consacré à l’emploi et à la formation en partenariat avec des opérateurs extérieurs. La troisième est culturelle avec une présentation renouvelée des collections faisant la part belle à la disposition en facial et un équipement élargi en auditoriums et en salles d’exposition. "Ce bâtiment, qui reflète les débats actuels autour de la diversification des services et de l’aménagement intérieur, constitue bel et bien la bibliothèque du XXIe siècle, s’enorgueillit Nicolas Galaud. Elle devrait pleinement jouer son rôle : rayonner, innover, attirer." < Cécile Charonnat
Creil : le livre contre la fracture sociale
La cité populaire picarde a fait de l’accès au livre et à la lecture un fondement de sa politique de lutte contre la fracture sociale.
Ville industrielle et ouvrière (31 % des habitants appartiennent à cette catégorie socioprofessionnelle), où 107 nationalités différentes se côtoient (21 % des 34 000 habitants sont d’origine étrangère), Creil s’est engagée depuis de nombreuses années dans une politique très volontariste en matière culturelle, et particulièrement en faveur du livre et de la lecture, domaines pour lesquels toutes les actions sont gérées par l’association La Ville aux livres. Ville en terre picarde mais située à soixante kilomètre seulement de l’imposante capitale, Creil a néanmoins réussi à se créer une personnalité culturelle bien à elle. Son mot d’ordre : favoriser le brassage, entre les disciplines artistiques, les publics, les acteurs culturels ; créer des passerelles. C’est ainsi que le livre et la lecture s’invitent partout : l’espace culturel La Faïencerie et le musée Gallé-Juillet accueillent des rencontres avec des poètes contemporains et des écrivains ; la salle de spectacle La Grange à musique, un atelier d’écriture autour du rap ; le conservatoire, une conférence. Autant d’occasions offertes à chacun de pénétrer dans des lieux où il ne serait pas allé spontanément et d’y côtoyer des personnes parfois bien éloignées de son propre univers. Exemple emblématique de cette démarche hissée au rang de philosophie : le Salon du livre et de la BD de Creil, qui tiendra sa 28e édition en novembre prochain, réalise la performance d’attirer chaque année près de 16 000 visiteurs. La ville l’a conçu comme un événement fédérateur, impliquant l’ensemble des acteurs locaux et s’adressant à tous les publics, amateurs de littérature ou personnes en délicatesse avec la lecture, toutes générations confondues grâce à la présence de la bande dessinée aux côtés du livre. Le salon propose de nombreuses activités, conférences, rencontres, ateliers, déclinés en fonction des différents publics. "Nous rendons les choses festives pour donner envie à chacun de pousser la porte, explique Gallia Basmaison, adjointe à la culture de la ville de Creil. Le salon n’attire pas seulement les amoureux du livre et les scolaires, mais aussi des mères de famille, des curieux." Autres rendez-vous plus récents mais aussi prisés, le Festival de poésie, dont la 3e édition se tiendra le 29 mars, et la convention Manga qui a lieu depuis sept ans au mois de mai.
Jacky Hamel, directeur des affaires culturelles de la ville de Creil, a, quant à lui, une vision quasi géopolitique de la culture et préfère parler de populations et de territoires à desservir plus encore que de publics et de lieux. Son ambition : amener la culture dans tous les espaces et quartiers de la ville. "Que les gens décident de ne pas venir dans les lieux culturels, c’est leur droit. Mais qu’ils n’y viennent pas faute d’être informés, ce n’est pas acceptable. Nous voulons que chaque habitant puisse devenir public, même si c’est ponctuel", affirme-t-il. Son service a donc entrepris ces dernières années un travail important pour renforcer et diversifier les actions de communication. "On ne communique pas de la même manière auprès des adultes ou des jeunes, ajoute le directeur des affaires culturelles. Nous maintenons les supports traditionnels mais nous avons également investi les réseaux sociaux."
La bibliothèque, un bouillon de culture.
Le réseau de lecture publique, constitué de trois médiathèques, est bien sûr l’une des chevilles ouvrières de la politique du livre et de la lecture. Véritable militante de la lecture publique, profondément convaincue que donner un large accès à la culture à tous les publics relève d’un engagement citoyen dont les bibliothèques doivent être porteuses, Sylviane Leonetti, directrice des médiathèques de Creil, a mis en place de longue date dans son réseau de nombreuses actions considérées à l’heure actuelle comme innovantes. La médiathèque propose ainsi depuis trente ans deux fois par semaine des séances "bébés lecteurs". Elle a également été pionnière en proposant des cafés-philo avec l’aide de celui qui inaugura ce concept en France, le philosophe Marc Sautet. Des rencontres qui ont su séduire le public et qui se déclinent désormais en "goûters-philo" destinés aux adolescents ou aux personnes handicapées. La médiathèque pratique aussi depuis bien longtemps une politique d’action hors les murs tous azimuts et de collaboration avec les partenaires locaux, en particulier ceux qui interviennent auprès de publics spécifiques (personnes en situation de handicap, accueil des populations immigrées, lutte contre l’illettrisme). "Dès qu’on repère un dispositif intéressant, notamment les grandes manifestations culturelles nationales telles que la Semaine de la langue française, on s’en saisit et on lui donne la teneur conforme à nos engagements", explique Sylviane Leonetti. Une personne de l’équipe est chargée spécialement d’organiser des grandes actions fédératrices telles que des résidences d’auteurs pendant la convention Manga et le Salon du livre et de la BD, des ateliers d’écriture avec tous types de publics - scolaires, participants individuels, résidents de la maison de retraite. Tous les ateliers donnent lieu à la publication de livres rassemblant les productions des participants, afin que chacun puisse garder une trace de sa contribution.
Autre preuve de la vitalité du livre et de la lecture à Creil, la présence en centre-ville de deux librairies indépendantes, l’une généraliste, l’autre consacrée à la bande dessinée, et ce malgré l’installation dans la zone commerciale toute proche d’une Fnac et d’un magasin Cultura. "Dans les premiers temps, les librairies ont vu leur chiffre d’affaires baisser. Mais depuis deux ans, il est à nouveau en hausse car les gens ont pris conscience de la différence en termes de compétence des libraires, de conseil et de qualité d’accueil", analyse Jacky Hamel. Véronique Heurtematte
Le Havre : la ville où lire est une aventure
Lancé en 2012, le plan Lire au Havre fait entrer le livre et la lecture dans la vie quotidienne des Havrais, en fédérant l’ensemble des acteurs du secteur : bibliothèques, librairies, partenaires associatifs et institutionnels.
Avec son plan Lire au Havre, lancé en 2012 et qui se déroule sur trois ans, la cité havraise a placé le livre et la lecture au cœur de la politique municipale. L’originalité de ce dispositif est de reposer sur un concept global, décliné de multiples manières et impliquant l’ensemble des acteurs locaux - bibliothèques, librairies, associations, commerçants, universités - avec pour finalité de faire entrer la lecture sous toutes ses formes dans la vie quotidienne des Havrais. Un enjeu de taille pour cette ville populaire de quelque 178 000 habitants, deuxième port de France en termes de trafic, mais durement touchée par la désindustrialisation et la crise économique, où le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale (13 % contre 11 %), et qui enregistre de même des taux élevés en matière d’échec scolaire et d’illettrisme.
"Une aventure au quotidien"
, ce premier axe du plan est porté par les bibliothèques municipales (lauréates du grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques en 2012). Le réseau s’est développé en créant des lieux de dimensions - 50 à 5 000 m2 - et de conception très variées afin de répondre à la diversité des publics et de leurs besoins. En centre-ville, la bibliothèque tête de réseau deviendra bicéphale en 2015 avec l’ouverture d’une nouvelle médiathèque dans le Volcan, l’équipement culturel conçu par l’architecte Niemeyer et qui bénéficie actuellement d’une rénovation complète. Sur 5 000 m2, ce site mettra l’accent sur la convivialité et l’accueil avec un café, plusieurs salles pour les animations, les spectacles pour enfants, la formation, le travail en groupe ou silencieux. L’idée est d’offrir aux usagers la possibilité d’utiliser les lieux de multiples manières : séjourner agréablement, travailler au calme, participer à des débats ou à des rencontres culturelles. Le réseau repose également sur 8 bibliothèques de quartier, un bibliobus, ainsi que sur deux dispositifs originaux. Les relais-lecture sont des collections de 2 000 à 3 000 ouvrages mises à la disposition des usagers dans des services municipaux très fréquentés. Les usagers peuvent emprunter les documents avec leur carte de bibliothèque selon les mêmes modalités que dans le reste du réseau. Par ailleurs, les points Livres nomades sont des kiosques proposant dans une soixantaine de lieux très variés - patinoire, laverie, piscine, etc. - une sélection d’ouvrages à lire sur place ou à emporter chez soi, à rapporter ensuite ou à garder, selon son envie, sans aucune contrainte.
"Une aventure à tout âge"
, le deuxième volet du plan a pour ambition de développer le goût et la pratique de la lecture tout au long de la vie. Il s’appuie sur les nombreux partenariats tissés par les bibliothèques avec différentes institutions telles que les crèches, les établissements médicaux, les maisons de retraite, les associations, les établissements scolaires. L’objectif est d’aller au-devant des différents publics. Aux beaux jours, les bibliothèques prennent leurs quartiers d’été en plein air, dans les jardins et à la plage, avec la manifestation Lire à l’air libre. Le plus récent service en date, créé en janvier 2013 en collaboration avec le centre communal d’action sociale, est le portage à domicile Domicilivres, qui dessert une centaine de personnes immobilisées ou ayant des difficultés à se déplacer.
"Une aventure à partager"
, ce dernier pilier du plan s’incarne dans des événements et des rendez-vous littéraires tout au long de l’année. Le festival Le Goût des autres rassemble chaque année plus de 6 000 visiteurs. Sa 3e édition, organisée du 23 au 26 janvier dernier sur le thème "1914-2014, la guerre et les littératures de la réconciliation", présentait 30 événements et une cinquantaine d’auteurs et d’artistes. Plus ancien, le festival Polar à la plage, qui a fêté son 10e anniversaire en 2012, rassemble chaque année en bord de mer auteurs de romans policiers et libraires, et compose une belle programmation de concerts, spectacles de théâtre et performances. La manifestation Un livre, un lecteur propose quant à elle la lecture de textes par des écrivains ou comédiens de renom tels que Jacques Gamblin, Daniel Pennac ou Hippolyte Girardot. Créé en 1998 par la librairie La Galerne en partenariat avec la ville du Havre, le prix Océanes distingue un auteur pour son roman historique et d’aventures paru dans l’année. Six livres sont sélectionnés et lus par un jury composé de 150 lecteurs havrais ou habitant l’agglomération. Autre signe de la place que tient le livre au Havre, la ville compte 4 librairies indépendantes (Dombre, La Galerne, Label Bille et Pile et Face), deux librairies franchisées (Fnac et Plein Ciel), ainsi que 2 bouquinistes.
Dernier élément de l’édifice, plus discret mais non des moindres, le site Internet Lire au Havre assure la présence du programme havrais sur la Toile. Il s’adresse à la fois au grand public et aux différents acteurs du livre et de la lecture. Au grand public, il propose des informations sur l’actualité culturelle, l’accès en ligne à un certain nombre de documents (presse, bases de données), des services (prolonger ses emprunts de livres de la bibliothèque), un espace pour s’exprimer et échanger. Aux professionnels, il offre un espace de convergence rassemblant l’agenda du livre et de la lecture au Havre et tous les projets s’y rattachant. Véronique Heurtematte
Limoges : le livre avec la porcelaine
La Bibliothèque francophone multimédia et le salon Lire à Limoges sont les deux pôles très visibles d’une politique active de la ville en faveur du livre.
Limoges ? On pense spontanément à la porcelaine. On peut aussi penser à la gare et à son beffroi classés, et, si l’on est sportif, à son célèbre club de basket du CSP. Mais Limoges la discrète, ville universitaire, est beaucoup moins connue pour son activité culturelle.
Pourtant, les 140 000 habitants (210 000 pour l’agglomération) disposent d’un arsenal culturel que beaucoup de villes pourraient lui envier. Un opéra-théâtre, de riches musées, un Zénith, une Bibliothèque francophone multimédia (BFM) tout à fait remarquable constituent la majeure partie des équipements fixes. A cela s’ajoutent des manifestations ponctuelles : Lire à Limoges, un marché des artistes, les Francophonies en Limousin, des festivals musicaux, etc. La ville consacre en tout 12 % de son budget à la culture. Dans ce poste, deux enveloppes importantes sont réserveés au livre. La première est consacrée à la lecture publique, avec la BFM et ses cinq bibliothèques de quartier, inaugurée en 1998, dont le budget de fonctionnement annuel s’élève à plus de 7 millions d’euros. L’autre grand investissement est celui de la manifestation Lire à Limoges, pour laquelle la municipalité engage 400 000 euros, auxquels s’ajoutent 3 000 euros du CNL et 3 049 euros de la Région.
Le choix de la gratuité totale.
La valorisation du livre est une vraie volonté politique de cette ville PS, place forte de la gauche depuis des décennies, dont le maire actuel, Alain Rodet, élu depuis 1990, se représente cette année. C’est lui qui, en 1998, a initié la BFM, œuvre de l’architecte Pierre Riboulet. Avec ses 15 000 m2 de surface et les 140 agents qui y travaillent, elle conserve plus de 600 000 ouvrages, dont 330 000 en accès libre, et engage un budget d’acquisition annuel de 680 000 euros, dont 365 000 pour le livre. Ce pôle associé de la BNF, très centré sur le multimédia et la francophonie, conserve des fonds spécifiques (René Depestre, Emmanuel Roblès, Sony Labou Tansi) et a fait le choix, très politique, de pratiquer la gratuité totale pour ses 45 000 inscrits, un chiffre en légère baisse, tandis que la fréquentation (430 000 passages par an) est en hausse. Parmi les cinq bibliothèques de quartier de ce réseau, la bibliothèque de l’Aurence doit être totalement reconstruite, pour une réouverture en 2015. L’investissement est de 3 millions d’euros : "Ce sera le gros investissement livre de la prochaine mandature", souligne Gülsen Yildirim, conseillère déléguée chargée de la lecture publique.
Depuis près d’une trentaine d’années, Limoges organise par ailleurs son salon du livre, parmi les plus importants en France. Lire à Limoges aura lieu cette année du 4 au 6 avril. Prise en charge par la mairie, la manifestation a attiré 70 000 visiteurs l’an dernier et les libraires ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires de plus de 195 000 euros sous le chapiteau. Réservée aux librairies indépendantes du centre-ville, la manifestation a bien failli accueillir l’Espace culturel Leclerc l’an dernier. Mais une levée de boucliers des libraires a fait capoter le projet : Leclerc comptait en effet consentir 5 % sur les livres sous le chapiteau, comme il le fait en magasin, mais pour les libraires, c’était impensable. "Je trouve dommage que l’on ne puisse pas diversifier, souligne Marie-Paule Barruche, adjointe au maire responsable de Lire à Limoges. Cette année, nous avons reçu une demande un peu trop tardive de Cultura, mais je n’exclus rien pour l’avenir."
Des situations contrastées.
Les libraires indépendants du centre-ville étaient jusqu’ici réunis dans l’association Encre vive, créée pour être partenaire de Lire à Limoges. Elle a été dissoute en décembre, principalement en raison de la fermeture de la Maison de la presse, tenue par Bernard Pradié, président de l’association. Filiale du groupe de presse Centre France, qui abandonne ses activités insuffisamment rentables, cette librairie de premier niveau, qui existait depuis vingt-cinq ans, doit être liquidée en avril.
Le climat de la librairie limougeaude, aux implantations très classiques, est en effet contrasté. La librairie Plein ciel, reprise en 2005 par Eric Larraud, montre quelques signes de faiblesse avec un chiffre d’affaires en baisse de 10 % en 2013. Parmi les librairies spécialisées, Rev’en page, dédiée à la jeunesse, reprise il y a trois ans par Cyril Malagnat, affiche en revanche une progression encourageante, qui pourrait mener vers un agrandissement. Maud Dubarry, qui a repris la librairie généraliste indépendante Page et plume en 2006, se félicite également d’un résultat en hausse pour 2013-2014 de 5,84 %, après une baisse de 2,59 % pour l’exercice 2012-2013. "Mais depuis novembre 2013, Anecdotes n’avait plus de stock", temporise la libraire. Avec la relance d’Anecdotes, ex-Chapitre, dont la sauvegarde a mobilisé la mairie, finalement rachetée par Albin Michel (voir ci-contre), la concurrence entre les deux confrères, par ailleurs très cordiale, risque d’être ravivée.
A côté de librairies implantées depuis des lustres, trois enseignes de produits culturels sont venues assez récemment bousculer la donne : en octobre 2005, la Fnac (235 m2 pour le livre, plus de 30 000 références) est arrivée en centre-ville ; puis, en périphérie, un Espace culturel Leclerc (500 m2 pour le livre, 60 000 références) a ouvert en décembre 2007, suivi d’un magasin Cultura (45 000 références) en septembre 2010. Tous affichent des résultats satisfaisants : Cultura annonce une progression de 7 % sur le livre entre janvier 2012 et février 2013, pendant que l’Espace culturel Leclerc enregistre "une petite progression", selon son responsable, Benoît Lavoute. Pour lui, ce site a élargi le marché : "On va chercher des clients qui ne viennent pas forcément dans d’autres librairies." Un avis pas loin d’être partagé par Cyril Malagnat : "Plus on sera nombreux à défendre le livre, mieux on s’en sortira, même si nous, libraires indépendants, n’approuvons pas toujours les méthodes des grandes surfaces culturelles."
Entre le rebond d’Anecdotes, la fermeture d’une Maison de la presse, le nouvel équilibre à trouver entre les libraires au sein de Lire à Limoges et la reconstruction de la bibliothèque de l’Aurence, le livre ne cesse de frémir à Limoges. Annie Favier
Paris : le livre en capitales
Territoire privilégié du livre, Paris a dû engager une action volontariste de soutien aux libraires et aux petits éditeurs, et de développement de son réseau de bibliothèques.
Ville privilégiée où éditeurs, écrivains, libraires ont de tout temps élu domicile, pôle incontesté de la vie culturelle et intellectuelle, Paris a entretenu de tout temps un rapport privilégié avec le livre. Depuis une dizaine d’années, cependant, les mutations économiques qui traversent le marché du livre, notamment la dématérialisation des biens et de leur diffusion, la hausse croissante des loyers commerciaux et les niveaux élevés qu’ils atteignent dans le centre de la capitale, ont tendance à fragiliser certains acteurs du secteur. La Ville de Paris a donc mis en place plusieurs dispositifs d’aide en direction des éditeurs et des libraires. L’opération Vital’Quartier, gérée depuis 2004 par la Semaest (1), a par exemple permis la reprise ou le maintien d’une cinquantaine de commerces culturels dans plusieurs quartiers. Le 5e arrondissement, qui abrite le fameux Quartier latin, fait depuis 2008 l’objet d’un effort particulier de la part de la Semaest qui propose des loyers inférieurs au prix du marché. Malgré ces dispositions avantageuses, l’organisme reconnaît rencontrer des difficultés pour installer de nouvelles librairies dans ce secteur. Il souligne en revanche l’émergence de commerces d’un genre nouveau, peut-être mieux adaptés au contexte : "Nous voyons apparaître depuis quelque temps des lieux basés sur un concept mixte avec une activité d’édition et un espace librairie", relève ainsi Aurélie Seyer de la Semaest.
Ouvert en 2011, également dans le 5e arrondissement, le Labo de l’édition, lieu unique en France à ce jour, est dédié aux professionnels du livre et de l’édition désireux d’accéder au marché du numérique. Il abrite, sur près de 500 m2, un incubateur d’entreprises. Depuis sa création, il a accueilli 25 projets dans les domaines de l’édition numérique et de la création de contenus enrichis. Il propose également un programme d’ateliers et de formations autour de tous les aspects du livre numérique.
A mentionner également, parmi les actions menées, l’exonération depuis 2010 de la cotisation foncière pour les librairies labellisées Lir (librairie indépendante de référence) et l’aide (essentiellement sous la forme de subventions de fonctionnement) aux projets portés par des associations et destinés à fédérer les professionnels, qui à Paris ont longtemps eu du mal à s’unir : créée en 2012, l’association Paris Librairies regroupe ainsi une cinquantaine d’enseignes et joue la carte de la proximité ; Librest, réseau de 9 librairies de l’est parisien, organise notamment le festival Esprits libres, tandis que Fontaine O livres se consacre au développement et à la promotion des professionnels indépendants de la chaîne du livre. Du côté des manifestations littéraires, le festival Paris en toutes lettres, créé en 2009 mais suspendu après seulement trois éditions, a ressuscité en novembre dernier à la Maison de la poésie, incarnant la nouvelle orientation (assez controversée dans un premier temps) impulsée par son nouveau directeur, Olivier Chaudenson, arrivé aux commandes en février 2013, qui souhaite faire dialoguer la poésie avec les autres genres artistiques.
Les bibliothèques se mettent à niveau.
Longtemps à la traîne des autres grandes villes de France, que ce soit pour leur bâtiment ou leurs services, les bibliothèques municipales parisiennes ont fait au cours des dernières années des efforts considérables pour se hisser à un niveau de qualité conforme à ce qu’on est en droit d’attendre du réseau de lecture publique d’une grande capitale occidentale. Comme pour les autres acteurs du livre, les contraintes foncières (coût et manque de surfaces disponibles) constituent l’un des principaux freins au développement, auquel s’ajoute la taille du réseau, le plus grand en France avec en tout 75 bibliothèques. Malgré ces contraintes, 6 nouveaux établissements ont vu le jour depuis 2008, dont certains de grande taille, comme la médiathèque Marguerite-Yourcenar ouverte en 2008 (2 950 m2), ou encore la médiathèque Marguerite-Duras (4 200 m2), inaugurée en juin 2010. De taille plus modeste, les plus récentes (la médiathèque Louise-Michel, 450 m2, ouverte en 2011, et la médiathèque Vaclav-Havel, 1 000 m2, inaugurée en 2013) jouent la carte de la convivialité et ciblent le public familial et jeune, avec une offre centrée sur le loisir, riche en BD, DVD et jeux vidéo. Parallèlement, 36 bibliothèques ont bénéficié de rénovations ou de restructuration depuis 2001. "Nous ne voulons pas d’un réseau à deux vitesses, explique Marie-Noëlle Villedieu, chef du bureau des bibliothèques et de la lecture de la Ville de Paris. Dans les rénovations comme dans les créations, nous prenons en compte les nouvelles pratiques des usagers en proposant plus de places assises, des espaces d’animation et de convivialité, une présence plus forte du numérique." Depuis février, les bibliothèques s’équipent tour à tour de liseuses. D’ici au mois de mai, plus de 1 000 seront disponibles au prêt dans les mêmes conditions que les livres, avec une offre présélectionnée de 1 300 titres. A partir de juin, ce sont 250 iPad qui arriveront dans les sections jeunesse en utilisation sur place.
Les bibliothèques ont également développé une forte présence sur les réseaux sociaux : 35 établissements ont des pages Facebook, 56 envoient des newsletters, plusieurs ont ouvert des blogs. "C’est un service de plus en plus apprécié des usagers, note Marie-Noëlle Villedieu. Nous sentons une demande forte pour des conseils et un accompagnement personnalisé auxquels se prêtent bien les réseaux sociaux." Tout n’est pas parfait pour autant : représentants des syndicats et usagers déplorent régulièrement que ce développement se fasse au détriment des petits établissements qui n’ont pas encore été rénovés et qui manquent de moyens, en particulier humains, avec des conséquences fâcheuses sur les horaires d’ouverture. Véronique Heurtematte
(1) Semaest : société d’économie mixte de la Ville de Paris, spécialisée dans l’animation économique des quartiers.
Vincennes : la ville qui accueille l’Amérique
Malgré sa petite taille, la ville de Vincennes fait les choses en grand. La librairie Millepages caracole dans le top 50 des plus importantes librairies françaises, et le festival America attire chaque année quelque 30 000 visiteurs. Un dynamisme qui s’explique par une politique municipale volontariste et un contexte socioculturel favorable.
De Vincennes, on connaît le château, mais pas seulement. Depuis douze ans, cette ville de moins de 2 km2 est la seule en France à faire venir dans ses murs une soixantaine d’écrivains américains, tous les deux ans, lors de son festival America. Située dans le Val-de-Marne, à l’est de Paris, la commune bénéficie d’une politique du livre volontariste menée par la municipalité dirigée par Laurent Lafon (UDI), candidat à sa réélection.
Cette politique repose avant tout sur un triptyque original formé par l’étroite collaboration entre les trois piliers de la vie culturelle vincennoise : la librairie Millepages, le festival America et le réseau de médiathèques. Une dynamique rendue possible par un contexte socioculturel favorable à Vincennes, deuxième ville la plus dense de France avec 49 000 habitants. "Il y a beaucoup d’enseignants, de cadres, de professions libérales. Il y a un milieu en adhésion avec la culture et qui a les moyens économiques pour en profiter", précise Francis Geffard, P-DG de Millepages. Parallèlement éditeur chez Albin Michel, c’est lui qui est à l’origine de la vitalité culturelle de la ville.
En 1980, alors qu’il a 20 ans, ce Vincennois décide de fonder une librairie où les lecteurs peuvent se rencontrer. Millepages devient vite une véritable institution. Rencontres, dédicaces BD tous les week-ends… Avec 70 000 références et un chiffre d’affaires 2013 de 4,55 millions d’euros, la librairie se place à la 45e place du classement 2013 des librairies françaises de Livres Hebdo.
Des équipes municipales réquisitionnées.
Mais ce dynamisme va plus loin. La librairie a des liens avec les acteurs municipaux du livre. Elle organise par exemple depuis quatre ans une présentation d’une partie de la rentrée littéraire par les auteurs eux-mêmes, devant une centaine de bibliothécaires. La mairie soutient la librairie. Elle est exonérée de la taxe professionnelle dès 2010. C’est la ville qui loue l’emplacement à la librairie générale, un gage de pérennité pour l’établissement. Lorsqu’onlui demande si cette position hégémonique ne s’est pas faite au détriment d’une offre plus diversifiée de librairies, Gildas Lecoq, directeur de la communication de la mairie répond : "Millepages, c’est deux boutiques. On ne peut que se réjouir d’avoir des librairies aussi dynamiques, modernes, complètes dans une période si difficile pour ce genre d’entreprise. Si l’offre était insuffisante, d’autres librairies se seraient créées. Millepages répond même aux attentes des villes riveraines."
C’est l’ensemble du tissu culturel de la ville que la librairie irrigue avec l’aide de la mairie. En 2002, Francis Geffard crée le festival biennal America, dédié aux littératures nord-américaines. La mairie prend en charge de 30 % du budget total. En plus de ces subventions, elle met gratuitement à la disposition du festival les lieux de la manifestation : salle de conférences, théâtre, auditorium… Les équipes municipales sont réquisitionnées aux côtés des quelque 300 bénévoles.
C’est que la mairie a tout de suite décidé d’utiliser le festival pour promouvoir la lecture et a mis en place des événements qui s’appuient sur lui et en prolongent l’influence. Ainsi du prix des Lecteurs de Vincennes, remis par le maire en personne. Le livre récompensé est choisi par un jury de 15 lecteurs. Des animations sont aussi prévues pour le public plus jeune. Les deux structures municipales de Vincennes qui sont consacrées à ce public participent à des cafés littéraires. Deux ou trois jeunes interviewent un écrivain, tandis que d’autres filment la rencontre. Une bibliothèque de littérature jeunesse est installée pour que les parents puissent lire des histoires aux enfants.
A chaque festival, des rencontres ont lieu à Millepages. Librairie et festival s’enrichissent mutuellement : la librairie permet au festival d’être rattaché à un lieu bien connu des habitants et le festival "donne vie aux livres", selon Pascal Thuot, directeur général de Millepages et un des piliers d’America.
Les auteurs en résidence logés par la mairie.
Toujours dans le prolongement du festival, une autre initiative marque la vie culturelle de la ville : chaque année, depuis sept ans, America héberge à Vincennes un écrivain pendant quatre mois : les Américains Eddy L. Harris et Charles D’Ambrosio, l’Haïtien James Noël, la Canadienne Nancy Lee, la Cubaine Karla Suárez et bientôt la Québécoise Perrine Leblanc… C’est la mairie qui prend en charge le logement de l’auteur(e), qui bénéficie d’une bourse offerte par le CNL ou par America. Il ou elle travaille sur un projet d’écriture et consacre en contrepartie un tiers de son temps aux rencontres avec le public.
Des petits-déjeuners sont organisés. "Les dix personnes qui ont pris le petit-déjeuner avec Bret Easton Ellis il y a quatre ans étaient contentes !" sourit Dominique Chevallier, responsable bénévole de la résidence d’auteur. L’écrivain anime des ateliers de traduction et des ateliers d’écriture hebdomadaires, notamment dans des établissements scolaires et des universités. "Ecrire en présence de l’écrivain stimule beaucoup les élèves, en particulier ceux qui par ailleurs ne sont pas très bons en anglais ou qui ne participent pas pendant le cours habituellement", témoigne Dominique Chevallier.
Ainsi, après l’atelier d’écriture animé par Nancy Lee dans un lycée, le professeur de la classe a constaté que jamais les élèves n’avaient appris avec autant d’enthousiasme : la rencontre avec l’écrivain en chair et en os a complètement changé leur point de vue par rapport à la matière, l’anglais, rapporte Dominique Chevallier. Au-delà des rencontres, l’auteur doit écrire une chronique mensuelle dans Vincennes Info, le journal municipal, une manière de faire partager son quotidien aux habitants.
Partenariat entre bibliothécaires, documentalistes et libraires.
La politique culturelle s’appuie également sur un réseau de quatre médiathèques, auquel la mairie consacre 45 % de son budget de fonctionnement pour la culture. Dans la principale, Cœur-de-ville, l’accent est mis sur la "convivialité", explique Brigitte Maury, directrice du réseau. Ici, un mur repeint en rouge vif, un gros canapé moelleux, là des chaises colorées pour les enfants. Tous les prêts sont automatisés. La médiathèque propose quelques tablettes et prêtera des liseuses en juin prochain.
En partenariat avec les médiathèques, les CDI des collèges et la librairie Millepages, Ado’lire illustre la volonté de réunir les professionnels du livre. Des jeunes forment des clubs de lecture : ils se rencontrent à la médiathèque pour échanger, et écrivent une critique. Elles sont publiées par la médiathèque dans un "carnet lecteur" et dans une gazette distribuée aux clients de Millepages, et sont glissées dans les livres de la librairie et de la médiathèque. Une manière de rendre les jeunes eux-mêmes promoteurs de la lecture. Manon Quinti