Animaux

Dossier : des livres très bios pour les animaux

Les poules - Photo Olivier Dion

Dossier : des livres très bios pour les animaux

Sur le petit segment aux ventes stables des ouvrages à destination de propriétaires d'animaux les éditeurs cherchent par tous les moyens à réinventer une offre très polarisée en privilégiant les notions d'éducation plutôt que de dressage, et le bio pour l'alimentation et les soins. 

J’achète l’article 4.5 €

Par Cécile Charonnat,
Créé le 21.11.2019 à 23h40

Avec plus de 60 millions de compagnons à poil, à plumes et à écailles, la France fait figure de championne d'Europe des animaux de compagnie. Plus d'un foyer sur deux en possède un et déploie de plus en plus de moyens pour en prendre soin. Estimé à plus de 4 milliards d'euros, le marché affiche d'ailleurs une progression constante. Seule exception, le secteur des livres consacrés aux animaux, qui ne profite pas de cette manne. Evaluées à 16,1 millions d'euros par l'institut GFK, soit 0,4 % de l'ensemble du marché des animaux de compagnie, ses ventes ont même reculé en 2019, perdant 1,6 point en valeur et 4,7 points en volume.

Aurélie Starckmann, Larousse- Photo OLIVIER DION

Menaces sur la biodiversité

Si, de l'avis des éditeurs, il ne faut pas s'attarder sur cette baisse liée essentiellement à la surperformance de la Vie secrète des animaux, de Peter Wohllenben, publié en avril 2018 aux Arènes et écoulé à plus de 107 000 exemplaires toutes versions confondues, le marché des livres sur les animaux reste cependant un domaine difficile à aborder. « Certes, les ventes sont plutôt stables et réalisées principalement avec des livres de fonds, pointe Aurélie Starckmann, responsable éditoriale pratique chez Larousse, le leader du marché. Mais se réinventer n'est pas chose aisée sur ce tout petit segment très polarisé autour du chat et du chien, composé surtout de livres pratiques et dont les thématiques tournent essentiellement autour de l'éducation et des soins. »

Olivia Recasens, Humensis- Photo OLIVIER DION

Pourtant, depuis deux ans, le contenu des livres a évolué. Portés par l'apparition dans le débat public de la question du bien-être et de la condition animale et par les menaces qui pèsent sur la biodiversité, les éditeurs ont intégré ces dimensions dans leurs publications, les colorant toutes de notions d'éducation, de communication, de sensibilité, d'intelligence animale et de préservation des espèces, que ce soit pour les animaux domestiques comme pour le monde sauvage (voir page 69). « Le rapport de l'homme à l'animal est en train de changer. Il s'agit d'une évolution majeure qui se traduit concrètement dans nos livres, notamment pratiques. On n'y parle plus de dressage mais d'éducation, plus de maître mais de propriétaire ou d'humain et on cherche avant tout à comprendre son animal pour le rendre heureux », confirme Raphaèle Dorniol, éditrice en charge des animaux chez Ulmer. Une orientation particulièrement marquée pour les deux stars incontestables du secteur, le chat et le chien. Les ouvrages prônant l'éducation positive, pourtant controversée, visant leur bien-être et mettant en avant leur intelligence font florès dans les programmes éditoriaux, dans tous les formats et à tous les prix, provoquant un nouvel encombrement du marché.

Elisabeth Pegeon, Rustica- Photo OLIVIER DION

« Mais finalement, malgré cet apport, le fonds ne varie pas tant que cela et les fondamentaux restent globalement identiques », note Aurélie Starckmann, qui cherche des leviers de croissance en diversifiant plutôt les formats et les angles. Pour la fin d'année, la directrice éditoriale de Larousse se lance dans la licence et commercialise une boîte de jeu et un album issus de l'émission « La vie secrète des chats », diffusée sur TF1. Elle a aussi, comme nombre de ses confrères, lancé des sondes du côté des essais, faisant notamment appel à Yolaine de la Bigne. La journaliste, star de l'intelligence animale, figure également aux programmes de fin d'année d'Ulmer et de Leduc.s. Présente depuis presque quinze ans sur le sujet grâce au vétérinaire comportementaliste Joël Dehasse, Odile Jacob a envoyé aux libraires en octobre la 3e réédition de Tout sur la psychologie du chat et la seconde de Tout sur la psychologie du chien.

Explorer des niches

Avec Dans la tête d'un chat, programmé en février, HumenSciences poursuit l'exploration de la compréhension et de la communication animale, engagé en mai avec Dans la tête d'un chien : les dernières découvertes sur le cerveau animal, qui démontre, grâce à des analyses IRM, que « le chien éprouve des sensations proches de celles que peut ressentir un homme, indique Olivia Recasens. Grâce à ces études et ces publications, l'homme est en train de redécouvrir qu'il est un animal, certes particulier, mais un animal avant tout. Et cela change tout. » Une veine qu'a aussi explorée Solar avec Le plus bel ami de l'homme : la grande histoire de notre alliance avec le chien, du vétérinaire Patrick Pageat. Dans la même optique, Ulmer lancera en janvier 2020 un ouvrage mixte. Rédigé par un éthologue et un comportementaliste animalier, le Guide d'éducation éthologique du chien conjugue guide pratique et essai et cherche à déterminer la part du loup dans le comportement du chien. « Cette approche mixte devrait bien répondre aux attentes du public aujourd'hui », espère Raphaèle Dorniol.

L'autre manière de renouveler l'offre et les sujets, consiste, pour les éditeurs, à explorer des niches. L'alimentation et les soins naturels ont leurs faveurs, tout comme les médecines douces. Les jeux et les sports cérébraux, notamment pour les chiens, rencontrent également un certain succès. Toujours à l'affût de sujets innovants, Terre vivante se penche sur des espèces méconnues et défriche en janvier la thématique des canards coureurs indiens, qui feront l'objet d'un livre dans la collection « Facile et bio ». « C'est une race appréciée dans le milieu de la permaculture, explique Brigitte Michaud, responsable éditoriale de la maison iséroise. Excellent auxiliaire du jardin, il nettoie le potager sans le dévaster et fournit en outre œufs et viande. »

Le travail sur la forme permet également de renouveler les traitements. Lancé dans une politique de création après avoir beaucoup traduit, Ulmer a choisi l'humour et l'illustration plutôt que la photo pour aborder deux sujets classiques, les problèmes comportementaux chez le chat et le chien (Mon chien a un problème et Mon chat adore son appart, avril et septembre). Pour la fin d'année, les éditeurs appliquent également la recette du coffret qui conserve une certaine efficacité. Avec Chat'Touillette, qui associe un album humoristique et un mug, Corine Césano, directrice du département Art de vivre chez Solar, s'inscrit dans une « démarche légère, de divertissement, qui colle très bien à la période et particulièrement au chat ». Confirmant le succès de la formule, Larousse réédite ses deux coffrets lancés l'année dernière, dont Chavourons la vie, doté d'un mug pour l'humain et de la gamelle en céramique assortie pour le chat, le tout accompagné d'un petit livre de recettes pour les deux. « Le gain de chiffre d'affaires apporté par ces produits est intéressant », précise Aurélie Starckmann.

Varier les cibles

Chez Rustica, Elisabeth Pegeon a aussi travaillé la forme pour renouveler l'un des classiques de fin d'année, l'album sur le chat. Les papiers découpés et la dominante noire, qui font penser à l'univers de l'auteur jeunesse Antoine Guillopé, donne ainsi un cachet particulier aux Mille vies du chat. Encore plus audacieux, Prisma s'est lancé début 2018 dans l'aventure du mook avec Miaou Mag. Deux ans et huit numéros plus tard, le succès de cette revue entièrement consacrée à la culture chat ne se dément pas. Se nourrissant beaucoup « de rencontres, d'interview et de photos » Laura Sitoui n'a toujours pas épuisé le sujet. Au contraire, la responsable du projet au sein du groupe Prisma, forte du réseau acquis, envisage même de se lancer dans la conception de livres.

Et lorsque les éditeurs peinent à renouveler le propos, ils s'attèlent à varier les cibles. C'est le cas notamment sur les poules, une autre valeur sûre largement traitée par chaque maison. Déjà à la tête d'une gamme fournie, Larousse complète son offre début 2020 avec un ouvrage de référence sur le sujet, Le Grand guide Larousse des poules. « Plus que l'approche, nous cherchons désormais à nous adresser à un public différent, plus citadin, plus novice ou au contraire très expert », confirme Elisabeth Pegeon, qui sortira début 2020 un nouvel ouvrage sur le sujet.

Emblématiques des menaces qui pèsent sur la biodiversité, à mi-chemin entre le monde sauvage et les animaux familiers, les abeilles continuent de bénéficier d'une production dense et ouverte à un public élargi. Chez Leduc.s., Sophie Rouanet, directrice éditoriale, cherche, elle, à grappiller du côté des lecteurs du bien-être. « Nous positionner à mi-chemin entre le développement personnel et les animaux nous a semblé pertinent au vu de notre ligne éditoriale », plaide l'éditrice. En octobre, elle a donc fait paraître Les 12 sagesses des animaux, de Yolaine de la Bigne, qui propose de s'inspirer des animaux et de leurs comportements pour mieux vivre sa vie d'humain. Un chemin qu'emprunte également Suyapa Hammje, arrivée à la direction de Tana en début d'année et qui a envoyé aux libraires en octobre Cheval, raconte-nous ta liberté, de l'équithérapeute Isabelle Pouységur. « C'est un sillon intéressant qui s'ouvre, estime la directrice de Tana. Il permet de revisiter les concepts classiques du développement personnel à l'aune d'un nouveau rapport au monde et à la nature, ce qui colle parfaitement à l'air du temps. » 

Engouement pour la faune sauvage

Auparavant centrés sur une approche essentiellement scientifique, les livres consacrés aux animaux sauvages sont désormais traités sous l'angle de la sauvegarde de la biodiversité.

Jean Arbeille, Quae- Photo OLIVIER DION

Portés par la même évolution que celle observée dans les ouvrages consacrés à leurs cousins domestiqués, les livres traitant des animaux sauvages connaissent une nouvelle vitalité. C'est particulièrement vrai pour les livres de fonds, et notamment les guides d'identification. Spécialiste du sujet, le directeur de Delachaux & Niestlé, Philippe J. Dubois note, depuis deux ans, une croissance continue sur l'ensemble de ses guides. « La sensibilisation à la nature et à la protection de l'environnement a donné envie aux gens de connaître ce qui les entoure. Et mettre un nom sur une espèce, c'est faire le premier pas dans la connaissance », analyse le directeur, ornithologue dans une précédente vie. De retour de Francfort, il a pu constater un mouvement similaire dans les pays anglo-saxons, où « les lecteurs opèrent une sorte de revirement et un retour à la somme encyclopédique. Reste à savoir si cette tendance va franchir aussi nettement les frontières. »

La dynamique observée par Philippe J. Dubois se confirme chez ses confrères. « Certes, le segment est petit, mais on y trouve de vrais succès », assure Olivia Recasens, directrice de Humensciences et du département nature et sciences chez Belin, qui annonce des ventes de l'ordre de 10 000 à 20 000 exemplaires sur certaines stars du secteur comme les guides ornithologiques. Pour ouvrir ses guides à ce public élargi et en attente d'informations, l'éditrice s'est engagée cette année dans une refonte de ses trois collections. Elle leur a offert une maquette plus jeune et une couverture « plus pimpante tout en gardant un contenu qui fait référence». Une démarche également entreprise par Aurélie Starckmann, directrice éditoriale pratique chez Larousse, qui a revu ses formats et ses prix pour rendre ses guides plus accessibles. « Les petits guides de poche fonctionnent très bien, plaide l'éditrice. Ils collent à cette envie que l'on ressent chez les parents de réapprendre ce qui constitue leur environnement pour le transmettre à leurs enfants. »

La préoccupation environnementale et la sauvegarde de la biodiversité, qui irrigue désormais tous les ouvrages, constituent un autre levier de croissance. En abordant un groupe d'animaux en danger, tels les abeilles, les oiseaux, les reptiles, les batraciens ou les hérissons, les éditeurs jouent sur les deux tableaux. Ils délivrent une connaissance sur une espèce et invitent plus ou moins activement les lecteurs à se mobiliser. C'est l'objectif affiché de Sauvons les hérissons paru en avril chez Larousse et de la collection « Actions écologiques », lancée en début d'année par Rustica, qui propose dix actions pour agir. Après les abeilles, les oiseaux et la biodiversité, les insectes y seront à l'honneur en janvier.

Les beaux livres n'échap-pent pas à cette volonté. Delachaux & Niestlé propose ainsi pour la fin d'année Légende des serpents, qui montre à la fois « les grandes capacités d'adaptation de ces animaux mais aussi leur grande fragilité ». Même objectif chez Quae, qui se penche avec Françoise Serre-Collet sur les Salamandres, tritons et Cie et renouvelle le sujet phare des oiseaux avec Oiseaux, sentinelles de la nature. « Partir d'un cas concret reste un bon moyen pour évoquer les dangers qui pèsent sur la biodiversité en général », assure Jean Arbeille, directeur exécutif de Quae. Ce traitement participe de l'ouverture grand public de la maison scientifique. Carrefour a ainsi acheté 250 exemplaires d'Oiseaux, sentinelles de la nature, une commande d'une ampleur inédite pour Quae.

Plus controversé, le biomimétisme constitue une autre porte d'entrée pour évoquer la faune sauvage. C'est la voie qu'a adoptée Anne-Sylvie Bameule, directrice du département arts et nature chez Actes Sud. « Cette nouvelle relation que l'homme découvre avec l'animal et la nature est au cœur du changement de société que nous appelons de nos vœux », assure-t-elle. Un propos que développera le Manifeste pour l'océan et l'humanisme, livre d'entretien entre le docteur en océanographie François Sarano et la journaliste Coralie Schaub, à paraître en janvier dans la collection « Domaine du possible ». 

Les 50 meilleures ventes en animaux

Surplombé par La vie secrète des animaux, de Peter Wohllenben, et sa version illustrée, le classement Livres Hebdo/GFK des 50 meilleures ventes de livres sur les animaux laisse apparaître l'écrasante domination du chat. Devançant nettement le chien, qui n'installe « que » 8 ouvrages dans le palmarès, le félin domestique place 14 titres qui visent quasiment tous à le comprendre et à mieux communiquer avec lui. La déclinaison du sujet en coffret assure également de bonnes performances. Larousse installe ses deux références en 4e et 7e positions et, fort de son succès, les réédite cette année.

Autres poids lourds du secteur, les oiseaux confirment leur statut de valeur sûre. Que ce soient pour les reconnaître, pour les nourrir ou pour les préserver, les Français se passionnent pour le sujet. Onze livres se positionnent dans le top, dont l'indétrônable Guide ornitho de Delachaux & Niestlé, qui cumule depuis sa première publication en 2009 plus de 150 000 exemplaires vendus.

Les dernières
actualités