Face à la tragédie. « C'est pour ramener la dimension de l'intime, la dimension psychique dans l'appréhension des conflits que j'écris cet essai. » Dans ce texte composé avec une rare finesse, en un seul souffle, la romancière et essayiste libanaise Dominique Eddé témoigne de l'horreur et de l'impuissance qui l'envahissent face à la tragédie que vivent les Palestiniens aujourd'hui encore. Tout en rappelant sa ferme position contre les agissements meurtriers du Hamas, l'écrivaine ne saurait se taire alors qu'après des mois de bombardements massifs par Israël, Gaza est en train de vivre un véritable génocide sous les yeux du reste du monde. « Écrire pendant ce temps est une épreuve à la limite de l'obscénité. Ne pas écrire, alors que l'on peut donner du fil à retordre à la haine, est encore moins glorieux », dit-elle d'emblée. Elle ajoute que si, jusqu'à il y a peu, le terme « génocide » concernant l'actuelle situation des Palestiniens était interdit car traduit comme une pensée ou une posture antisémite, depuis mai 2025, il tend à s'imposer au regard des faits. Comment trouver les mots pour dire ce qu'il se passe actuellement et depuis des mois ? « Pour ma part, je me suis bornée à remplacer un mot par un autre : abattoir, par exemple. » Dominique Eddé propose d'en trouver d'autres, d'en inventer s'il le faut, mais surtout de ne pas laisser le silence et le déni s'installer. Ainsi s'agit-il de remettre l'inconscient et la « pensée de l'inavouable » au cœur des analyses. En explicitant les mensonges initiaux autour de la création d'un État pour « un peuple sans terre sur une terre sans peuple », elle rappelle à quel point cette idée - qui a alimenté la négation des Palestiniens - a conduit à la tragédie actuelle. « L'horreur que m'ont inspirée les massacres des Palestiniens à Sabra et Chatila ne m'a pas fait oublier les massacres de Damour commis par des Palestiniens au Liban contre les chrétiens en 1976. Je n'ai donc cessé de chercher les moyens de transgresser les termes officiels du débat. De veiller à ne pas noyer le singulier dans le pluriel, à ne pas dire "les" mais "des" », précise l'autrice dont le père est issu de la communauté maronite comme les phalangistes coupables du massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, commis sous les yeux de l'armée israélienne. Naviguant entre l'histoire, l'actualité, la philosophie et la littérature, La mort est en train de changer trace une route dans une « mer indomptable » où « l'ennemi [a pris] la forme d'un monstre à mille têtes accouché par un monde détraqué ». Dominique Eddé évoque également Kafka, qui en parlant d'art à Max Brod lui prête le pouvoir de « rendre possible une parole vraie de personne à personne ». Et c'est ce qu'elle réalise avec sensibilité et justesse avec cet essai.