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Dominique de Saint Mars : « J'ai été connue grâce aux bibliothèques »

Dominique de Saint Mars. - Photo OLIVIER DION

Dominique de Saint Mars : « J'ai été connue grâce aux bibliothèques »

Auteure de la célèbre série pour enfants Max et Lili, Dominique de Saint Mars préside le jury du 10e Grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques francophones qui sera décerné le 2 octobre. Elle explique le rôle qu'elles ont joué dans le succès de son œuvre, chaque année en tête du baromètre des prêts en bibliothèque.

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 23.08.2019 à 16h12

Au début de l'été déjà caniculaire à Paris, Dominique de Saint Mars nous accueille à Saint-Germain-des-Prés dans le bel appartement de Pascale et Christian Gallimard, ses éditeurs chez Calligram, où elle s'est installée pour quelques semaines. Depuis l'explosion, le 1er avril 2016, de l'immeuble de la rue Saint-Placide où elle habitait, elle partage son temps entre la Bretagne et des adresses parisiennes temporaires, en attendant de récupérer son appartement à la fin des travaux. Une situation qui ne semble pas affecter l'auteure de la célèbre série pour enfant Max et Lili, qui nous raconte avec un plaisir visible et dans de grands éclats de rire son sauvetage rocambolesque par les pompiers lors de l'accident. Dominique de Saint Mars, qui caracole chaque année en tête des auteurs les plus prêtés en bibliothèque dans le Baromètre annuel ministère de la Culture/Livres Hebdo (242 360 prêts en 2018) (1), présidera le jury du 10e Grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques francophones, qui sera décerné le 2 octobre à la bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers, à Paris. Avec l'énergie pétillante qui la caractérise, l'écrivaine nous confie son amour pour les bibliothèques et les bibliothécaires, et revient sur l'histoire singulière de la collection qui totalise 20 millions d'exemplaires vendus depuis sa création en 1992, et dont le dernier titre, 121e de la série, Les parents de Max et Lili sont accros au portable, est paru le 21 août en librairie.

Auteure de la série pour enfant Max et Lili (Calligram), Dominique de Saint Mars préside le jury du 10e grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques francophones qui sera décerné à la bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers, à Paris, le 2 octobre.- Photo OLIVIER DION

Livres Hebdo : Pourquoi avoir accepté la présidence du jury du Grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques francophones ?

Dominique de Saint Mars :Parce que j'adore les bibliothèques. Elles sont pour moi comme une deuxième maison. Pour les enfants, ce sont des endroits où l'on peut apprendre, découvrir, se faire des amis, venir faire ses devoirs après l'école. Elles sont pour eux un lieu de ressources et de bienveillance en dehors de la famille très précieux, notamment quand les familles sont compliquées. Je connais beaucoup de bibliothécaires qui font des choses absolument formidables dans leurs établissements. Je ferai tout ce qui peut soutenir les bibliothèques. J'ai même mis en scène une bibliothécaire dans Lili a peur des contrôles, inspirée de quelqu'un que je connais, et qui montre le rôle important des bibliothécaires dans l'éveil et l'accompagnement des enfants.

La bibliothèque comme lieu de rencontre, c'est une vision très moderne. D'où vous vient-elle ?

D. S. M. :Je n'allais pas dans les bibliothèques enfant, mais je les fréquente beaucoup en tant qu'auteure. Je vois comment se comportent les enfants autour de la caisse qui contient la collection « Max et Lili », ils se parlent, ils échangent des idées. J'en ai même vu cacher des livres pour être sûrs de les retrouver le lendemain ! Toutes les rencontres que j'ai faites en bibliothèque ont toujours été des moments magiques. Elles sont différentes de celles que je fais dans les écoles car les enfants y sont plus libres, ils peuvent dire ce qu'ils veulent. Et les parents sont là, ce qui n'est pas le cas à l'école.

Vous êtes, de très loin, l'auteure la plus prêtée dans les bibliothèques. Quel rôle celles-ci ont-elles joué dans l'histoire des Max et Lili ?

D. S. M. :Un rôle essentiel puisque c'est grâce aux bibliothèques que la collection a été connue. Au début, elle a eu du mal à démarrer. Les titres étaient négatifs, les histoires s'adressaient aux enfants de manière très cash. A l'époque où on a lancé la collection, en 1992, c'était très inhabituel dans la littérature pour enfants, plus positive, plus naïve. Les bibliothécaires, eux, y ont tout de suite cru. Au moment de l'affaire Dutroux, en 1997, j'ai été interviewée dans Libération car j'avais publié deux ans auparavant Lili a été suivie, sur les abus sexuels. A la suite de cet article, les parents se sont précipités sur les livres et se sont vite rendu compte que les bibliothèques avaient tous les titres de la collection.

Comment vous est venue l'idée de cette série ?

D. S. M. :J'étais journaliste à Astrapi, spécialisée dans la psychologie et les relations parents-enfants. Je voulais absolument créer une collection autour des émotions des enfants. J'ai proposé à Serge Bloch, également à Astrapi, de travailler avec moi. Et quand Pascale Gallimard, alors rédactrice en chef adjointe d'Astrapi, et Christian Gallimard ont créé les éditions Calligram, c'était évident que cela se ferait avec eux. Vu le peu de succès des premiers titres, un autre éditeur aurait abandonné. Mais Christian avait l'habitude des publications en série, il savait qu'il fallait attendre d'avoir un nombre important de titres pour que ça marche. Max et Lili, c'est aussi l'histoire d'une amitié de trente ans entre Pascale et Christian, Serge et moi.

Le succès des Max et Lili est-il lié à une évolution de la manière dont on s'adresse aux enfants aujourd'hui ?

D. S. M. :Les parents me disent que mes livres les aident à comprendre ce qui se passe dans la tête de leurs enfants, à aborder certains sujets. Quant aux enfants, je pense que le dessin de Serge Bloch les touche, et que les histoires leur donnent l'occasion de se frotter au réel, les aident à faire face à des situations difficiles. La collection s'adresse aux enfants entre 7 et 13 ans. C'est un âge auquel on peut se sentir déprimé, avoir un sentiment d'échec, de rejet. Il faut être attentif à ces émotions négatives. Les enfants s'identifient aux personnages, ils s'y attachent. Ils se sentent compris, et aimés.

Où trouvez-vous l'inspiration pour les sujets ?

D. S. M. :Dans la vie quotidienne, dans celle de mes enfants, de mes petits-enfants. Quand je ne connais pas un sujet, je me documente. Pour La copine de Lili a une maladie grave, j'ai passé dix jours à l'hôpital Gustave-Roussy. J'ai partagé la vie des enfants, des parents, des médecins. Mon inspiration me vient aussi des jeunes que je rencontre en bibliothèque. Le personnage de Marlène, une amie de Lili qui mange trop, m'a été soufflé par une jeune fille très grosse, mal habillée, qui était restée silencieuse pendant mon intervention et qui, au moment où je partais, est venue me demander de faire un livre sur les moqueries. Dans le train du retour, j'ai réfléchi à la manière dont je pouvais l'aider. Parfois, on me dit que ce que je fais, ce n'est pas de la littérature. Je m'en fiche. J'assume le rôle de médicament de mes livres. J'ai voulu créer une famille de référence virtuelle, une famille de papier qui puisse combler un manque chez des enfants qui vivent des divorces et des situations familiales difficiles.

Est-ce que cela fait écho à votre propre enfance ?

D. S. M. : Oui, en effet. Mes parents, tous les deux orphelins, ce qui créait déjà une situation lourde, ont divorcé à une époque où cela ne se faisait pas. Tout cela a engendré beaucoup de souffrance surtout chez mon frère et ma sœur. J'ai créé ces livres pour aider tous les enfants qui souffrent. C'est important pour moi de préciser que cette série a du succès, mais qu'elle n'est en rien une démarche commerciale. Elle traduit au contraire une nécessité intime.

Comment travaillez-vous avec Serge Bloch ?

D. S. M. : Je lui envoie des scénarios très aboutis, j'écris la description de l'image, le comportement des personnages, leurs émotions, l'heure. C'est comme un story-board, mais écrit. Serge l'interprète à sa façon, géniale, fait un crayonné. On échange. Ensuite une coloriste met la couleur, l'éditeur met le texte dans les bulles, généralement j'en écris toujours trop, il faut couper. Puis je reçois le tout pour relecture et je fais des changements jusqu'à la dernière minute. Je suis un véritable cauchemar ! Mais on y arrive, depuis 121 titres !

(1) Voir LH 1215 du 26.4.2019, p.18-27.

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