I l y a à peine deux mois, les éditeurs scolaires s’inquiétaient de l’équipement insuffisant en manuels dans le primaire et au collège. La question ne se pose plus pour l’histoire-géo en terminale scientifique. Il est vrai qu’un ministre de l’Education — Luc Chatel — qui a fait ses armes au marketing du groupe L’Oréal doit peu se soucier de culture générale. Dommage aussi pour lui. Car, chacun peut deviner, sans être féru d’étymologie, que son patronyme vient de « château », terme qui ne sera désormais plus synonyme que d’un bâtiment du 8 ème arrondissement, ayant avalisé une réforme aussi indispensable. S ans compter les soucis juridiques en pagaille, sur lesquels MAM, garde des Sceaux, aurait pu avoir l’occasion d’enfin dire quelque chose depuis qu’elle est installée place Vendôme. L e 9 octobre dernier, la Cour de cassation vient en effet de se pencher sur le cas de D olmen , feuilleton télévisuel ayant donné de nombreux – et précieux - petits cailloux en librairie. Le problème ? Les auteurs avaient voulu accentuer le côté bretonnisant de l’intrigue et baptisé certains protagonistes du nom de Kersant, sentant bon le chouchen et la cotriade. Las, un certain Guy-Pierre de Kersant a attaqué en arguant que son patronyme n’était « porté que par une seule famille, bretonne et notoirement connue , qu’il a été illustré par des ancêtres célèbres et même donné des vaisseaux de guerre ». Diable ! Il aurait donc fallu se méfier et, à défaut de s’intéresser à l’histoire des batailles navales, passer le vocable choisi au crible des moteurs de recherche pour s’assurer de l’absence d’homonymie. Les annales judiciaires fourmillent pourtant de sanctions parfois très sévères à l'encontre de romanciers qui ont réglé leur compte à quelques vieilles connaissances en utilisant leurs patronymes pour désigner les personnages les plus détestables de leur œuvre. Si l’individu qui se sent visé réussit à démontrer que l’auteur ne peut ignorer son existence, il est souvent difficile pour celui-ci de prouver aux juges son absence d'intention de nuire. A l'inverse, il arrive parfois que le hasard fasse mal les choses et que l’auteur soit de totale bonne foi. C'est ainsi qu'un romancier qui utilise un nom de personnage qu'il croyait banal ou bien avoir totalement forgé peut se voir assigné par une famille existant réellement. Le comte et la comtesse de Beru s'en étaient ainsi pris à Frédéric Dard. Ils avaient été cependant déboutés de leurs demandes en raison de l’absence de confusion possible avec le célèbre personnage des « San Antonio ». Il est bien entendu nécessaire pour celui qui, célèbre ou inconnu, croit se reconnaître, de convaincre qu'il n'y a pas d'ambiguïté possible et qu'il est identifiable par un nombre suffisant de lecteurs potentiels. Il ne lui suffit donc pas de s’imaginer être la cible d’un romancier, mais d'apporter la preuve que les lecteurs qui le connaissent ne manqueront pas de décoder les descriptions les plus embarrassantes. Simenon avait ainsi été condamné par un tribunal belge pour Pédigrée à supprimer le nom d’un personnage « présenté sous un aspect peu flatteur ou prêtant à la moquerie ». En revanche, un Dupont ne peut ainsi agir à l’encontre d’un livre intitulé La Vie intime de Dupont, que s’il y a similitude de prénom, de ville d’origine, de profession, etc. Pour l’heure, l’affaire Dolmen a été renvoyée, après cassation, devant une Cour d’appel. Le Kersant peut conserver espoir. Au rythme actuel des procédures, les prochains juges qui se pencheront sur le dossier — qui doivent être encore au lycée —, connaîtront sans doute un bout de sémantique celtique pour avoir parcouru les vignettes d’Astérix.