François Froideval est mort ce 18 juin 2025, à 66 ans. Scénariste, concepteur de jeux, pionnier du jeu de rôle en France, il fut de ceux qui pensaient la narration comme un système total, où l’imaginaire se structure, se règle et s’incarne. Peu connu du grand public, il a pourtant façonné les univers sombres, stratégiques et tentaculaires de la fantasy francophone.
Une trajectoire pionnière : jeu de rôle et bande dessinée
Né à Paris le 10 décembre 1958, François Froideval découvre très tôt l’écriture et les jeux de stratégie, pratique encore confidentielle en France. Dans le sillage des Jeux Descartes, il rejoint Jeux & Stratégie en tant que journaliste et conçoit une dizaine de jeux encartés, affirmant déjà une vision du gameplay comme ressort narratif. À la fin des années 1970, il fonde la Fédération des jeux de simulations stratégiques et tactiques, puis crée Casus Belli en 1980, première revue française consacrée aux jeux de rôle, de plateau et à l’heroic fantasy.
En 1982, il rejoint les rangs de TSR aux États-Unis, éditeur de Dungeons & Dragons, où il travaille avec Gary Gygax et coécrit Monster Manual II (1983) et Oriental Adventures (1985), deux titres majeurs de l’ère Advanced Dungeons & Dragons. De retour en France, François Froideval supervise la traduction et la diffusion des gammes TSR, contribuant à l’ancrage du jeu de rôle américain dans l’Hexagone.
En 1987, il transpose cet imaginaire à la bande dessinée avec Les Chroniques de la Lune noire, dessinées par Olivier Ledroit. Premier album de la maison Zenda, puis publiée chez Dargaud, la série s’impose d’emblée comme une référence de la dark fantasy francophone. On y suit Wismerhill dans un monde ravagé par le chaos, les théocraties absurdes et la quête de toute-puissance. François Froideval signe les 20 tomes parus entre 1989 et 2022, y compris après le départ de Ledroit, remplacé par Cyril Pontet, puis Fabrice Angleraud.

Autour de cette saga centrale gravitent plusieurs spin-offs : Les Arcanes de la Lune noire, Methraton, Fëarön, illustrés par Ledroit, Tacito, Morgado ou Angleraud. En 2012, il relance un nouveau cycle avec Terra Secunda. Le tome 23 devait paraître en 2025.
Un univers transversal et foisonnant
Scénariste polymorphe, François Froideval s’illustre également dans le développement de jeux vidéo. Dans les années 1990, il scénarise le jeu vidéo Drakkhen pour Infogrames, puis Dragonlore I et II, Déo Gracias, Les Gardiens ou encore Les Chroniques de la Lune noire pour Cryo Interactive. Il crée une vingtaine de jeux, dont Ave Ténébrae, Fiefs et Empires, et de nombreux scénarios de jeux de rôle, animés par la même exigence d’univers complets, cohérents, techniquement charpentés.
Scénariste prolifique, François Froideval multiplie les collaborations graphiques, travaillant avec Jack Manini sur L’Archimage Robert, Franck Tacito sur 666, Cyril Pontet pour Succubus, Nicolas Bournay sur Nexus, Stéphane Collignon pour Lex, Fabrice Angleraud sur Atlantis, Guillaume Sorel pour Mens Magna, Francard sur Fatum ou encore Patrick Larme pour Fées pas braire !. Publié chez Glénat, Dargaud, Soleil ou Albin Michel, il impose un style immédiatement identifiable, rigoureux et narrativement tendu.
François Froideval a influencé une génération de scénaristes, de dessinateurs et de game designers, posant dès les années 1980 les fondations d’un récit transmédiatique. Chez lui, la narration s’adosse toujours à une mécanique, une règle, un système : chaque monde devait résister à son propre effondrement.
Figure tutélaire de la dark fantasy à la française, sa disparition laisse un vide immense dans le paysage narratif francophone. Mais ses mondes, eux, continuent de parler, de trembler, de hanter.