Manhattan, 1980. Andy Warhol, maître du pop art, invite dans sa Factory le gotha de l'art underground. William Burroughs, inventeur du cut-up, roi de la Beat generation, a surnommé son appartement le Bunker. L'un fait connaître Lou Reed et John Cale ; l'autre est le meilleur ami de Kerouac et Ginsberg. L'un ne se sépare pas de sa perruque blonde et se veut le plus impersonnel possible, mais enchaîne les mondanités ; l'autre porte des vestons de tweed, a enfin décroché de l'héroïne et sort peu. "Ça lui arrive de parler, parfois ?" demande Warhol au journaliste Victor Bockris, qui veut absolument les faire se rencontrer. «Nous étions les témoins de l'émergence d'une nouvelle tribu jusqu'alors inédite : le mélange des Beats, de la Génération Warhol et du mouvement punk [...]. Dans le public traînaient des artistes en devenir comme Jean-Michel Basquiat et Keith Haring." Bockris livrera plusieurs monographies sur les acteurs de ce mouvement. Ces Conversations en sont une, où il applique la technique d'interview qu'il dit tenir de Warhol : ne pas préparer les questions et faire «comme s'il s'agissait d'un cocktail». Cocktail que le jeune homme renverse sur des cut-ups de Burroughs lors de leur première rencontre... Car ces entretiens sont enregistrés lors de dîners, où l'alcool a, comme souvent, la vertu de délier les langues et le défaut de les empâter. Que le lecteur ne s'attende pas à des discours sur l'esthétique pop ou sur l'abstraction en littérature. Il devra souvent se contenter du gossip dont la culture new-yorkaise a fait un mode d'expression à part entière. Une certaine ambiance, de belles photos où apparaissent Mick Jagger et Lou Reed ; où Warhol et Burroughs ne se livrent pas. Mais comme le dit Ginsberg dans sa préface, Warhol a voulu «se poser en tant que transmetteur de l'information et être un miroir". Quant à Burroughs, il affirmait n'être rien d'autre que son image publique. Dont acte.
