Après un premier volume d'une Histoire de l'art ultra-personnelle, un leporello de plus de 23 mètres recto verso (Dupuis, « Aire libre », 2017) où il dialogue avec son ancien prof des Arts déco Pierre Cabane, Philippe Dupuy continue de déployer ses questionnements sur la création à travers un « opus 2 », Peindre, dont le sujet est Man Ray. Le dessinateur, auteur de nombreux albums, notamment à quatre mains avec Charles Berberian, ne se contente pas ici de faire un biopic avec phylactères. Loin d'illustrer la vie de l'Américain qui révolutionna l'art moderne et la photo au XXe siècle, Dupuy invite à réfléchir à l'idée même d'art. Il est à noter que l'ouvrage dédié au grand photographe s'intitule Peindre. C'est que Man Ray, avant de devenir l'œil photographique du surréalisme, ambitionnait d'être peintre. Il se forme dans l'une des modern schools fondées par le libertaire catalan Francisco Ferrer, il se passionne pour l'avant-garde venue d'Europe, celle qui s'est exposée à l'Armory Show en 1913, et pour cette modernité qui abolit les hiérarchies entre le pinceau et l'objectif photo, et fait entrer grâce à Alfred Stieglitz la photographie dans les galeries. Man Ray veut donc être artiste. Or être artiste, ça ne nourrit pas son homme. « La peinture est une aventure intime déraisonnable », confie-t-il lors d'une partie d'échecs à son ami Marcel Duchamp, cet autre géant de l'art contemporain et héraut du mouvement dada en Amérique. Et Duchamp de rétorquer : « S'en détourner pour une expression mercantile est un renoncement coupable. » Man Ray n'est pas d'accord. La photo est selon lui « un bon compromis », « un art qui paye »... Du reste, on peut peindre avec un objectif. Peindre n'est pas dépeindre, et l'œil est un stylo qui ne raconte pas tant qu'il produit des formes - dessine. N'est-ce pas cela l'art ? Tout dessin est abstrait, le dessin est avant tout une pensée, un dessein, cosa mentale (« chose mentale »), disait Léonard de Vinci.
Peindre est un volume de l'Histoire de l'art non moins étonnant que le précédent. Entre deux pop-up originaux conçus par l'auteur, nous déambulons à travers les médiums, les lieux... du chevalet à la boîte noire, de New York à Paris, avec des questions ouvertes : L'art pur existe-t-il ? Jusqu'où peut-on aller dans le compromis dans son art, dans sa vie ? Portrait de Man Ray et autoportrait en creux de Dupuy.
Une histoire de l’art. Vol. 2, Peindre
Dupuis
Tirage: 2 400 ex.
Prix: 53 euros ; 128 p. en coul.
ISBN: 9791034736263