Ancien grand reporter au Monde où il a fini sous-chef du département étranger, Jean de La Guérivière s’attache à retracer la présence française hors de nos frontières, et pas seulement dans nos ex-colonies, en amateur d’histoire, ou historien amateur. Plus que le récit chronologique érudit, il privilégie le patchwork de portraits et d’anecdotes, vivants, symboliques, appuyés sur une vaste culture et de très parlantes illustrations.
Le voici qui traite aujourd’hui des Français en Chine, depuis les premiers missionnaires dépêchés vers le Céleste Empire par Saint Louis, en 1251, jusqu’à nos jours ou presque. Non de façon strictement chronologique, on l’a dit, mais au moyen de chapitres thématiques et discursifs, où l’auteur peut laisser libre cours à son érudition, à sa verve, à son humour teinté d’ironie, assez british. Outre le goupillon et le sabre, les Jésuites et les militaires, Jean de La Guérivière a pris un malin plaisir à retracer la "folie chinoise" qui semble tenir les Français, à travers leurs écrivains : Jules Verne et Hergé qui n’y ont jamais mis les pieds mais ont inventé un pays plus vrai que nature ; Claudel qui fut en poste à Fou-tchéou (Fuzhou) où il vécut une love affair avec Rosalie Vetch (l’"Ysé" qui lui inspira Le partage de midi) ; Segalen, aventurier, archéologue amateur (et pilleur), qui passa à côté de l’armée en terre cuite de l’empereur Qin Shi Huangdi, à Xi’an ; ou encore Malraux, qui découvrit la Chine dès 1931, laquelle nourrit deux de ses grands romans, puis qui rencontra Mao en 1965 pour le compte du général de Gaulle.
Du côté des journalistes, souvenirs personnels de l’auteur, témoignant de l’idolâtrie du pays après la mort du Grand Timonier., en 1976, évocation d’Albert Londres, disparu en 1932 dans le naufrage du bateau qui le ramenait de Chine, avec des scoops, semble-t-il. Ou salut à Lucien Bodard, né en Chine où il est retourné en 1956, en amateur fasciné mais pas dupe. Contrairement à quelques-uns de nos "maolâtres", Sartre et Simone de Beauvoir, en 1956, puis Sollers, Kristeva et Pleynet, en 1974, délirants dans le dithyrambe et l’aveuglement. Barthes, lui, était bien plus lucide, ainsi qu’en témoignent ses Carnets du voyage en Chine posthumes, parus en 2009. Heureusement, le Belge Simon Leys vint enfin éclairer quelques lanternes françaises. J.-C. P.
