Les ventes aux bibliothèques représentent près de 10 % du marché du livre, et plus de 50 % des ventes aux collectivités, selon des sources concordantes. Des chiffres significatifs. Pourtant, selon leurs profils, les libraires ressentent diversement la baisse des budgets d’achat des bibliothèques.
Plus dépendantes de ces ventes que la moyenne de leurs confrères, les spécialisées jeunesse sont fortement concernées. Ainsi, Ariane Tapinos (Comptines, à Bordeaux) évoque une baisse sensible depuis deux ans, se traduisant notamment par une diminution du nombre d’exemplaires commandés d’un même titre. "Je crois aussi que si les bibliothécaires viennent moins en librairie, comme je le constate, c’est pour ne pas craquer et ne pas être tentés d’acheter !" Chez les généralistes, Isabelle Colin (Quai des mots, à Epinal) évoque aussi "une dégringolade". "Les budgets des bibliothèques ont été divisés par deux… et certains même par quatre, assure-t-elle. Alors que les sommes ne cessent de baisser, on nous demande d’être de plus en plus performants et de proposer des services supplémentaires. Cela finit par être démotivant."
Plus nuancé, Benoît Bougerol (La Maison du livre, à Rodez) observe surtout "un recul au niveau des bibliothèques rurales". Il précise : "C’est la somme des baisses de ces petits budgets que nous avons surtout ressentie. Le décrochage a été particulièrement sensible entre fin 2012 et début 2013." A l’inverse, peu touché par la diminution des budgets, ce qu’il attribue à une volonté régionale de garder une politique de lecture publique soutenue, Rémy Ehlinger (Coiffard, à Nantes) n’en constate pas moins une demande accrue de services, en particulier autour de la prise en charge d’animations : pour présenter la rentrée littéraire, faire venir des auteurs, accompagner les rencontres en bibliothèque par des ventes de livres… "C’est chronophage mais en même temps intéressant, car on noue de vrais partenariats et on montre notre dynamisme auprès du public des bibliothèques, souligne-t-il. C’est aussi pour ces dernières, qui ne peuvent pas utiliser de manière discriminante le critère de proximité, une manière de favoriser les acteurs locaux." Reste que certaines demandes de services apparaissent moins légitimes, comme la pose d’antivols ou de couvertures plastiques…
Concurrence
Dans ce contexte tendu, les libraires s’inquiètent surtout de la concurrence sur le marché des collectivités des grandes structures, capables de tout proposer… du moins sur le papier, comme la SFL, filiale de la Fnac, ou le libraire rhônalpin Decitre qui serait devenu, selon Renny Aupetit de la Générale du livre, le premier fournisseur de livres aux collectivités.
Le Syndicat de la librairie française (SLF) vient à ce propos de lancer un chantier de réflexion afin d’aider les libraires à mieux répondre aux appels d’offres mais aussi à sensibiliser les collectivités territoriales face aux enjeux que représentent les marchés publics pour certaines librairies locales.
Le moment est propice puisque en 2015 de nombreux contrats de bibliothèques de département et de région arrivent à échéance et doivent faire l’objet d’un renouvellement. Mais au-delà même du chiffre d’affaires qu’elles apportent, ces ventes sont aussi pour les libraires un moyen d’augmenter leurs achats auprès des éditeurs et par la suite d’améliorer leur remise globale et donc leur équilibre financier. Un enjeu majeur dans la profession. C. N.