"La mer fascinera toujours ceux chez qui le dégoût de la vie et l'attrait du mystère ont devancé les premiers chagrins, comme un pressentiment de l'insuffisance de la réalité à les satisfaire", écrit Proust dans Les plaisirs et les jours. Les protagonistes du premier roman de Nicolas Deleau sont assurément attirés par l'océan. Avec Les rois d'ailleurs, on s'inscrit dans la veine des récits de mer à la Conrad ou à la Moby Dick, qui donnent lieu aux descriptions baignées d'embruns.
Au Bart t'abat de Dunkerque, le troquet de Robert, un Pragois s'est échoué dans ce port du Nord où passent des marins du monde entier. S'y réunit également un groupe d'amis qui refont le monde, trop étroit pour leur haute vision de la vie. "Je suis parti loin du brouet universitaire, des suffisances artistiques, des petits fours écoeurants et des cocktails merdiques. Je quitte sans regret et la fleur aux dents les songe-creux, les parle-creux, les fesse-mathieux de la pensée et du verbe !" Thomas confesse sa révolte au père Raoul qui l'héberge à Manille. Job, lui, a embarqué sur un cargo où il rencontre Jean, meurtrier de son unique amour. Après quinze ans de prison, le capitaine erre sur les flots comme pour laver le sang de son crime. Fanch a décidé de partir à Mourmansk, le port russe sur la mer de Barents, aux confins de l'Arctique, à bicyclette. Pas d'histoires de marins sans filles de marins ni alcool à forte dose. Bordels de Valparaiso, bouges philippins, tous les récits convergent vers Dunkerque où sont restés Yannôs et le barman Robert. Ce roman ambitieux est polymorphe et insère différents plans de narration : les paysages et les expériences se racontent dans les lettres qu'adressent les voyageurs aux amis du Bart t'abat. Et toutes ces aventures sont elles-mêmes traversées par la quête d'un personnage énigmatique, Dimitri, le musicien des mers, légendaire comme le Kurtz du Coeur des ténèbres de Conrad, mais dont l'art plus que la cruauté >forge le mythe. C'est que, dans Les rois d'ailleurs, le grand bleu se colore de nuances oniriques, visionnaires, voire hallucinées.