Le titre est malin. Il dit tout. Patrick Boucheron s’en explique dans son introduction. Il n’est pas question de l’histoire de la France mondiale, mais de l’histoire mondiale de la France. Ce n’est pas la même chose. Le professeur au Collège de France qui défend une histoire connectée, une histoire en relation avec d’autres histoires, en sait quelque chose. Ce n’est sans doute pas un hasard si un tel ouvrage paraît à quelques mois d’une élection présidentielle où il sera sans doute encore question d’identité, de la place de la France dans le monde, alors que la seule question qui importe c’est la place du monde dans la France.
Les 146 dates retenues, des peintures rupestres de la grotte Chauvet (36 000 avant J.-C.) au retour du drapeau tricolore après les attentats de 2015 à Paris, forment une frise d’un monument toujours en construction et dont la visite réserve bien des surprises pour peu que l’on s’engage vers les parties négligées. Les 122 auteurs se sont laissé guider par leur savoir, mais surtout par le plaisir du récit. On apprécie de voir les universitaires sortir de l’exercice souvent austère de la critique des sources pour celui de la narration. C’est pour eux le seul moyen de ne pas laisser l’histoire populaire, dans le meilleur sens du terme, à des publicistes qui occupent les listes des meilleures ventes.
Dans ce double mouvement entre l’ici et l’ailleurs, que Patrick Boucheron traduit d’une solide formule - "dépayser l’émotion de l’appartenance et accueillir l’étrange familiarité du lointain" -, la troupe s’élance dans ce geste éditorial avec ferveur. Cette histoire, c’est bien sûr la nôtre. Elle est toujours la même, mais racontée différemment.
Sur cet axe chronologique conventionnel, les sorties sont nombreuses, et le plus souvent inattendues. Les dates sont des angles d’attaque, libre à chacun d’en tirer une autre interprétation. On voit ainsi la France se dessiner, prendre ses formes sociales et politiques. On comprend comment s’est construite la défaite victorieuse de Vercingétorix, pourquoi le choix de Paris comme capitale par Clovis est aussi important que son baptême et que l’Atlas catalan, qui entre au Louvre au XIVe siècle, installe aussi dans les esprits les contours d’un royaume en gestation.
De même, la guerre de Cent Ans est saisie dans un cadre européen avec un Du Guesclin qui se mêle du combat entre deux prétendants à la couronne d’Espagne. Ecrivains, philosophes, savants, explorateurs, mystiques, saintes, artistes, bâtisseurs, ingénieurs, professeurs, parfumeurs, stylistes et cinéastes prennent place sur la scène des rois, des empereurs et des présidents.
Dans l’expression "roman national", on s’est beaucoup focalisé sur le national en oubliant le romanesque qui l’accompagne. Ce collectif témoigne du dynamisme à regarder l’histoire autrement, à faire surgir d’autres personnages à côté de ceux que l’on connaît déjà ou que l’on croit connaître. Sans effort, le mondial s’invite de lui-même dans cette histoire de France. Il suffit de laisser la porte ouverte. L. L.