Sans rôle dans la procréation, uniquement dédié au plaisir, très tardivement représenté dans sa réalité anatomique, l'érogène clitoris est un organe politique dont la connaissance et la reconnaissance ont toujours et partout eu partie liée avec le pouvoir et la domination masculine. C'est, en schématisant, l'un des constats que dresse l'historienne et sociologue Delphine Gardey dans cet essai qui se présente comme une histoire scientifique et politique du clitoris. La chercheuse professeure à l'Institut des Etudes genre de l'université de Genève, qui revendique une « lecture féministe et sociale » sous « la forme d'une anatomie politique méthodique mais partielle donc partiale », propose un état des lieux des savoirs dans le temps et l'espace. Une longue histoire d'intérêts scientifiques, de projections et de fantasmes autour d'un objet aux contours variables, soumis à bien des spéculations et des agressions, de la clitoridectomie à l'excision et l'infibulation ou à la nymphoplastie.
En trois grands chapitres - « ClitOccident. Clito d'ici. », « ClitOrientaux, Clito d'ailleurs, néo- et post-coloniaux », « Clito-today : clitartefact, clito straight, lesbien ou queer ? » -, elle montre comment le discours scientifique, politique et social a modelé la sexualité féminine. Et comment à son tour, l'évolution des connaissances et leurs traductions politiques continuent d'en reconfigurer les normes. Comment, pour ne prendre que cet exemple, « les déterminants androcentrés, hétéronormés et sexistes constitutifs de la culture psychanalytique (et de la culture médicale de façon plus vaste) » « ont eu des conséquences de long terme sur la vie psychique et sexuelle, affective et politique des femmes ».
Politique du clitoris met en outre en relation luttes d'émancipation d'hier et d'aujourd'hui, voyant dans la première impression en 3D à taille réelle réalisée en 2016 par l'activiste féministe et critique des sciences Odile Fillod, la prolongation et l'actualisation « du geste des militantes du self-help et de l'auto-conscience des années 1970 », de ces femmes du Women's health movement américain dont le célèbre manuel collectif de 1971 Notre corps, nous-mêmes paraîtra dans une première traduction française le 17 octobre prochain aux éditions Hors-d'atteinte.
Au terme de cette histoire de la « reconquête » du clitoris, Delphine Gardey souligne l'importance du travail critique des lesbiennes féministes, comme Audre Lorde, qui permet de ne plus réduire la sexualité et la jouissance au corps et à ses organes, au seul aspect biologique, et de les décentrer de leurs cadres habituels. Et si elle considère que « la "désandrisation" des savoirs sur la sexualité féminine demeure un enjeu contemporain » dans lequel « la question du clitoris joue un rôle essentiel », elle conclut avec Judith Butler, non sans avoir opportunément laissé ouvertes quelques questions de fond comme celles autour de la « décolonisation de la recherche » : « L'organe ne fait pas le corps et le corps ne fait pas l'identité. L'invention est ailleurs. »
Politique du clitoris
Textuel
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 15,90 euros ; 160 p.
ISBN: 9782845977815