Il annonce d'emblée qu'il est né l'année de la mort de Staline. Ce hasard de calendrier marque son existence, dans un autre pays communiste, qui connaît aussi la dictature. Ma Jian grandit à Qingdao à l'est de la Chine, dans une fratrie de cinq enfants. Ses aspirations artistiques se concrétisent, à 10 ans, lorsqu'il est admis à l'Ecole de l'Opéra. Mais son père étant considéré comme un « riche paysan », sa joie sera de courte durée. Le garçonnet doit rentrer au bercail et restituer ses cadeaux à sa classe. « La honte ! J'ai compris qu'on n'était nullement maître de son destin », raconte l'auteur de passage à Paris, pour la promotion de son nouveau roman à paraître chez Flammarion. Le constat se confirme à l'adolescence, lors de la Révolution culturelle. « Cette plongée dans le chaos, la violence et les persécutions m'a forgé. Tous ces actes seront jugés par les prochaines générations. » C'était sans compter sur la volonté gouvernementale d'effacer ou de réécrire l'Histoire. Elle est d'ailleurs au cœur de China dream, dédié au prophétique Orwell. « Impossible d'échapper à la terreur, mais il nous reste l'art pour exprimer nos sentiments. »

L'épine de Chine

Devenu photo-reporter, Ma Jian est repéré par le service de propagande des autorités. Il bifurque et se consacre à la peinture. Qualifiée de « pollution spirituelle », elle lui vaut d'être arrêté. « C'est comme si mes mains et ma langue étaient enchaînées. Il me fallait fuir Beijing, cette grande prison. » Aussi sillonne-t-il le pays, durant trois ans. Il atterrit au Tibet, où, « là aussi, le Communisme n'avait laissé que des ruines ». Désabusé, il comprend que « la littérature incarne l'unique liberté ». Elle l'aide à dénoncer l'horreur de Tian'anmen, la politique de l'enfant unique - qui est au cœur du somptueux La route sombre (Flammarion, 2014) -, ou la dictature actuelle, sous Xi Jinping, « un second Mao. On est supposé vénérer ce Président, dont le rêve pour la Chine consiste à bâtir des camps de concentration cinq étoiles. »

Qu'est-ce qui fait que la Révolution culturelle a transformé l'un en écrivain et l'autre en bourreau ? La figure du bourreau, dans China dream, est incarnée par Ma Daode. Ils partagent le même prénom, mais son nom de famille signifie « amoral ». « Tous les lieux font référence à des mots ou des gens, classés interdits. Quel défi d'entrer dans la peau de ce bureaucrate, corrompu et infâme, qui veut maîtriser nos pensées et nos rêves. L'Histoire dépend de millions de mémoires personnelles. » Or voilà que ce dangereux personnage est rattrapé par son passé et ses mœurs douteuses envers les femmes, « si oppressées en Chine ».

Derrière son apparente sérénité, l'exilé Ma Jian couve une révolte. Son arme ? La langue chinoise et son stylo, qu'il tient durant tout notre entretien. Son regard soutient amoureusement celui de Flora Drew, sa traductrice anglaise, sa femme et la mère de ses quatre enfants. Dans un pays « où l'on ne peut faire confiance à personne », c'est une chance d'avoir trouvé l'amour et le respect. L'auteur « rêve de retourner dans une Chine, où on serait libre de pensée et de s'exprimer. Une Chine, dans laquelle ne régnerait plus la peur, où il n'y aurait plus ces milliers de prisonniers politiques ou ces portraits de tyrans, nous scrutant constamment. » Ce n'est guère innocent si son ami, l'artiste Ai Weiwei, signe la couverture de ce puissant roman politique. « Nous croyons au triomphe de l'art car aucune nation ne peut survivre sans prendre la route de la Vérité. L'écriture est mon destin, elle me relie à moi-même et à l'humanité. »

Ma Jian
China dream - Traduit de l’anglais par Laurent Barucq
Flammarion
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 18 euros
ISBN: 9782081398177
03.01 2019

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