avant-portrait > Alexandre Civico

On attendait un croisé, un bagarreur, un mauvais garçon qui veut du bien à la littérature ; arrive le plus courtois, le plus attentif des hommes. D’Alexandre Civico, rencontré chez son éditeur pour la sortie de son deuxième roman, La peau, l’écorce, on ne savait rien. On supposait seulement un rapport intense, vital, au livre, entretenu entre autres dans la bande des "Inculte", dont il n’était pas jusqu’à récemment le membre le plus repéré, mais pas non plus le moins fervent. "On" n’avait pas tort, comme le confirme avec éclat, après un déjà très intrigant et réussi La terre sous les ongles, en 2015, cette fable noire, gorgée de la clameur du monde, mise à distance par les privilèges de la fiction et du romanesque.

De quoi s’agit-il ? Des hommes, de leur histoire, et plus précisément de deux histoires. La première, celle d’un soldat perdu, une patrouille, le désert, une guerre sans nom comme en un au-delà de toute cause. La seconde, dans une ville indifférente, la dérive d’un homme relié à sa fille de quatre ans par un amour fou, sans mots et un cordon ombilical. Un panoramique de nos solitudes et de nos chagrins contemporains, en somme, et un "est-ce ainsi que les hommes vivent… et meurent".

Ce livre est pourtant né de la crainte de n’en pas faire d’autre. "Après La terre sous les ongles, je n’étais pas sûr de publier encore. Dans le même temps, j’étais démangé par le monde qui nous entoure, comme une lèpre contre laquelle on ne peut rien. A ce monde en ruine, j’ai voulu "opposer" des corps en ruine et me suis mis à décrire les SDF du métro. Je me suis aperçu que je ne pouvais rien "en faire". Le livre est issu de cette impuissance." Même si le romancier sait que rien n’est plus opposé à l’émergence de la littérature, quelque chose comme l’impuissance à agir fonde son roman, rédigé en lisant les Ecrits sur l’Allemagne de Simone Weil, et dans le climat nauséeux, entre état d’urgence et déchéance de la nationalité, qui suivit les attentats du 13 novembre.

Hors du livre point de salut

Le fait social n’est pas inconnu d’Alexandre Civico, même s’il convient de ne pas le considérer pour son seul déterminisme. Il est issu de la classe ouvrière immigrée, des parents andalous arrivés en France au début des années 1960. "Mes origines conditionnent mon rapport à la langue et à l’écriture et entraînent successivement des relations de domination, d’émancipation et finalement, de trahison", dit-il. Sans doute a-t-il su très tôt que ce processus passerait par les livres. "Je lisais d’abord tout ce qui me tombait sous la main, mais les premiers grands chocs littéraires, Dostoïevski, Céline, Proust, Sartre, ce ne sera pas avant mes vingt ans." Et déjà l’idée que, professionnellement aussi, hors du livre point de salut. "C’était moins l’idée de travailler dans l’édition qui me plaisait que celle du travail du texte."

D’abord stagiaire dans une agence littéraire, il fonde la collection "Naïve sessions" chez Naïve et rejoint en 2008 le collectif Inculte dont il devient rapidement le gérant. Il en est toujours aujourd’hui, après le rachat par Actes Sud, le directeur éditorial. Le passage de l’édition à l’écriture ne lui est jamais apparu comme une évidence. Mais il y eut un chagrin, la maladie du père, et un texte qui en est né, achevé la nuit de sa mort. Ce fut La terre sous les ongles. Son ami Dimitri Bortnikov en fut le premier lecteur. Aujourd’hui, ils partagent tous deux, à l’enseigne bleue de la collection dirigée par Emilie Colombani, les espoirs de la rentrée d’hiver de Rivages. Il reste donc l’amitié et le livre "qui est encore capable d’agréger une résistance". C’est pas si mal.

Olivier Mony

Alexandre Civico, La peau, l’écorce, Rivages. Prix : 16 euros, 105 p. Sortie : 25 janvier. ISBN : 978-2-7436-3859-7

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