Située boulevard Voltaire, à Paris, Tsume Store a mis dans un coin, face à la caisse, les mangas Vagabond, Jujutsu Kaisen ou encore Bonne nuit Punpun sous la signalétique « seinen ». Cette dernière est l’une des grandes catégories de mangas. Le terme vient des cibles de lectorat désignées par les magazines de prépublication au Japon : seinen pour adulte, ou encore shōnen pour jeune adulte et shōjo pour jeune fille. Libraire depuis 3 ans, Maxime identifie les seinen parmi les histoires de violences physiques ou psychologiques qui ne peuvent pas tomber dans les mains du tout-venant. Dans le secteur, l’exemple le plus connu est Berserk, qui contient des scènes explicites de tortures et de viols. Bien qu'il soit clairement classé dans les catégories jeunes adultes, des adolescents, parfois des enfants, tentent d’acheter le manga de Kentarō Miura édité chez Glénat.
Pour Cyrille Cotelle, gérant de la librairie Le Comptoir du rêve à Toulouse, le classement par signalétique ne suffit pas : « Nous ne pouvons pas classer les mangas du point de vue des distributeurs, il faut que le législateur intervienne pour que des avertissements d’âge soient mis sur les couvertures. » Dans le cas de Berserk, les derniers tomes affichent la mention « Pour lecteurs avertis » en petits caractères en bas de chaque couverture. Une précaution qui a évolué : dès le tome 13, particulièrement violent, le manga a été plastifié « pour éviter qu’un enfant tombe dessus par inadvertance », explique Glénat. En 2011, le blister est abandonné car l’éditeur a estimé que Berserk, et plus globalement les seinen, sont bien identifiés par le public.
Un avis rejoint par David Birbes, directeur commercial à la librairie Manga Story, maison mère et voisine de Tsume Store. Près de son rayon de mangas d'occasion, où seinen, shōnen et autres se mélangent sans distinction, il précise : « Les indications sur les couvertures sont plus pratiques pour un vendeur, mais je ne suis pas forcément pour les trigger warning : les enfants ont déjà vu des séries qui comportent des violences, comme la série sud coréenne Squid Game. »
Une formation à l'École de la librairie
Pour aider les professionnels à se repérer et organiser leurs rayons manga, l'École de la librairie propose depuis quelques années des formations. L’une d’elles est assurée par Pierre Pulliat, formateur et chroniqueur. Il anime depuis septembre 2023 des ateliers « Action clé en main » pour développer son rayon manga, dont le prochain se tient le 25 octobre à l’École de la librairie. L’ancien libraire spécialisé en bande dessinée conseille à ses élèves de « décloisonner les genres ». Le spécialiste encourage à ne pas mettre d’étiquette, en faveur d'un rayon développé selon ses affinités, puisque les cibles de lectorat prédéfinies au Japon sont dépassées dans le coeur du public.
Pour faire vivre ses rayons, l’équipe du Bazar du manga en région parisienne affiche ses affinités dans un mur d’exposition près de l’entrée. Les thèmes varient allant du coup de cœur des libraires aux séries adaptées en anime. Dans l’allée centrale, des ameublements sont réservés aux meilleures ventes. Ce type de rangement permet de gérer la « tomaison ». Dans la librairie de Cyrille Cotelle, l’axe central de l’enseigne est dédié à One Piece ou encore My Hero Academia. « La rotation de ces titres est importante ; l’intérêt pour nous est de toujours avoir 5 ou 10 tomes en rayon pour éviter de recharger en permanence », explique le responsable.
Quelle que soit la taille du fonds, l’essentiel est d’avoir les derniers tomes publiés, et au moins les trois premiers, d’une série. Pour le reste, les échanges avec la clientèle restent primordiaux, comme le résume Océane, libraire au Bazar du manga : « Nous échangeons avec nos clients qui ont souvent une grosse culture manga, et qui nous nourrissent dans notre travail. »