Les graffeurs ne sont plus seulement les hors-la-loi vandalisant les murs de nos villes. Ce sont désormais des artistes que les galeries s’arrachent, mais aussi des sujets de livres d’art qui touchent aujourd’hui un large public. Preuve en est l’incroyable succès de la monographie de Banksy, Guerre et spray, parue discrètement le 16 décembre 2010, l’agent s’étant escrimé pendant trois ans à en vendre les droits, et en rupture de stock en moins d’une semaine. Depuis, l’ouvrage n’a jamais quitté les meilleures ventes annuelles de livres d’art. La Fnac Montparnasse, à Paris, fait des tables « street art », tant l’art contemporain urbain a suscité une production éditoriale foisonnante. Elle y présente des titres d’éditeurs spécialisés comme Critères, Alternatives ou Pyramyd, mais aussi Eyrolles avec Le graffiti arabe de Pascal Zoghbi ou encore, marque de l’institutionnalisation de cet art marginal, un « Découvertes » paru chez Gallimard en septembre, L’art urbain : du graffiti au street art de Stéphanie Lemoine, ou, annoncé le 15 mai, un opus de la collection « Mode d’emploi » de Flammarion signé Jérôme Catz. Le graffiti est entré au musée - « Au-delà du street art », une exposition qui vient de fermer au musée de la Poste à Paris - et est réellement devenu respectable, puisque le rayon jeunesse s’emplit de titres. La revue Dada a publié un album Graffiti, de la rue aux musées en mars 2012, Nathan Jeunesse Mon street art book de Dave the Chimp en avril 2012 et, à la rentrée, Pyramyd lancera une collection jeunesse « Black colour book » pour les 6-13 ans, avec des livres d’activités sur le travail d’Atlas ou de Supakitch et Koralie. Enfin, des librairies spécialisées s’ouvrent. Critères, qui avait lancé Nunc ! à Grenoble, a ouvert une deuxième librairie-galerie, fin 2012 à Paris. Et les ventes suivent. « A chaque fois, les ouvrages trouvent leur public et nos tirages oscillent entre 3 500 et 6 000 exemplaires. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une réelle demande quand Planète graffiti a dépassé les 40 000 ventes », note Céline Remechido chez Pyramyd, qui édite 4 titres par an dans ce domaine.

Woshe, graffeur et auteur du Blackbook chez Alternatives en 2005 et réédité le 15 mai, constate qu’« il y a eu ces dernières années une inflation éditoriale : beaucoup de livres avec des belles images que l’on pouvait trouver sur Internet. Aujourd’hui, la production est plus intéressante, proposant une réflexion sur la pratique et une histoire de cet art. » En effet, le graffiti a désormais une histoire qui peut être racontée, ce qui explique la naissance de ce segment éditorial. « Le graff a 50ans et nous n’avons pas déchiffré un dixième de ce qui existe », poursuit Woshe, qui publie en septembre Alphabeats chez Pyramyd, manuel de typographie et histoire du graffiti.

Travail de réseau.

Alternatives a été la première maison à s’intéresser aux murs, dès 1985 mais surtout à partir de 2000 avec la parution de Kapital, un an de graffiti à Paris au modeste premier tirage de 3 000 exemplaires mais avec plus de 20 000 ventes. « Aujourd’hui, la tendance évolue vers les artistes de mur plus que vers le graffiti pur », analyse Sabine Bledniak, éditrice chez Alternatives qui prépare une grosse monographie pour les 30 ans de Jef Aérosol. Les artistes qui ont des décennies de pratique derrière eux peuvent analyser leur travail, ses évolutions, le contextualiser par rapport aux autres arts. Herscher racontera le 30 avril l’histoire de 9e concept, collectif d’artistes de street art créé en 1990, et Ankama, au second semestre, celle de 123Klan, graffeurs et graphistes français exilés à Montréal qui pratiquent depuis vingt ans.

Les éditeurs ont dû adapter leur mode de commercialisation à ce type d’art et à ses réseaux parallèles. « Les artistes achètent pas mal d’exemplaires pour leurs réseaux, leurs galeries et les magasins de skates ou de bombes. Cela démultiplie la visibilité des ouvrages », explique Sabine Bledniak. Frédéric Claquin, directeur de collection chez Herscher, poursuit : « Il faut creuser les réseaux car il y a des gens très connus dans le milieu qui sont des relais incontournables. » Il a mis en place tout un système pour pouvoir faire passer ces arts auprès du public. « J’ai créé autour des marques Tattooisme et Arttitude un écosystème avec des bandes annonces, des pages Facebook, des flashcodes en quatrième de couverture et dans les livres, ainsi qu’un site d’information, Drawing is not a crime. Le livre est le porte-étendard de l’ensemble. » Tattooisme et Arttitude réunissent respectivement 7 000 et 2 000 fans sur Facebook, et le volume 1 de Tatooïsme a trouvé 6 000 acheteurs en librairie. Parfois, l’éditeur doit s’adapter aux auteurs, à l’instar de Céline Remechido, chez Pyramyd, pour le lancement en juin au Merle moqueur de 15 minutes où Ilk a demandé à cent artistes de fournir un graff inédit. « Une partie des artistes travaillent sous pseudo, car ils sont pistés par la police, raconte- t-elle. Je me vois mal leur demander de venir dédicacer en librairie ! » Une odeur de soufre qui n’est pas pour déplaire aux lecteurs. <

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