Il y a quelques jours, je marchais gentiment, avec cette grâce qu’on me reconnaît dans le mouvement du genou, quand je suis tombé nez à nez avec Quatre ans d’occupation de Sacha Guitry. C’est un livre dans lequel il explique son rôle pendant la seconde guerre mondiale, et tente de se justifier face aux attaques. Une édition originale aux éditions de l’Elan : je me suis donc arrêté. L’idée de mon projet de roman sur Brasillach m’a alors chatouillé à nouveau le cerveau. Guitry a cette image de collaborateur et comme beaucoup, sans savoir l’exacte vérité, j’étais emmitouflé dans les fameux clichés disant, entre autres, qu’il avait continué à jouer devant les allemands. Ce livre est celui d’un homme emprisonné, en pleine excitation de l’épuration. Véritable pestiféré, plus personne n’ose publiquement prononcer son nom. Il cite l’exemple du fils de Tristan Bernard, le poète Juif qu’il a sauvé de la déportation, qui omet de préciser à la radio son rôle. Après la guerre, on nage dans l’oubli et l’ingratitude selon Guitry qui évoque tout ce qu’il a fait pour aider les autres, à quel point il ne s’est jamais plié aux exigences allemandes. Son plaidoyer est limpide, remarquable, touchant. C’est sa plus belle pièce, celle où il défend son honneur : « il n’est pas courant qu’un simple citoyen demande à l’ennemi le rapatriement d’un prisonnier de guerre – et il est pour le moins étonnant qu’il l’obtienne. Certes, il ne saurait être question de ranger ce citoyen parmi les héros, mais il m’apparaît qu’une petite place à part pouvait lui être faite – et pas nécessairement à Fresnes ». Point par point, Guitry nous convainc du bien-fondé de ses actes : il a préféré rester à Paris, et se rendre utile. Il explique qu’on cherche à lui faire payer «quarante ans de bonheur et de réussite ». Surtout, les vengeances viennent de son milieu : « il aurait fallu confier l’épuration des gens de lettres aux médecins, celles des architectes aux acteurs, etc… », c’est sûrement juste, il fallait séparer les épurés. Au bout de plusieurs mois d’emprisonnement, rien ne fut retenu contre Guitry. Je m’apprête donc à entrer en 2007 dans une ambiance de 1945. Ca promet pour les prochains mois. Et c’est assez étrange ce qui s’est produit ; alors que je venais de finir ce livre, j’ai trouvé chez moi le premier roman d’Aurore Guitry, sa petite nièce. Y aurait-il un fantôme Guitry qui s’épuiserait chez moi ? L’étrangeté n’est pas d’avoir reçu ce roman car j’en reçois pour mes chroniques dans Muteen ou DS. Mais ce livre est édité chez Calmann-Lévy. Et je n’ai jamais reçu avant un roman publié par Calmann-Lévy. Celui-là tombait parfaitement à pic de Guitry. L’attachée de presse, une certaine Florence Morin, a eu une bonne intuition. Je voudrais bien savoir pourquoi Florence Morin m’a envoyé ce livre ? Je lis sur l’argumentaire de presse qu’Aurore Guitry est metteur en scène de théâtre. Ca commence mal. Les gens du théâtre m’angoissent. Ne me demandez jamais de passer mes vacances à Avignon. Mais Aurore est aussi traductrice. Si seulement elle pouvait être traductrice d’allemand, ça équilibrerait le théâtre. En ouvrant son livre, je trouve sa dédicace : « Lisez moi, s’il vous plaît ». Voilà une dédicace vraiment forte, je trouve. Comme je fais toujours ce qu’on me dit de faire, je lis le livre. C’est un livre dense, qu’on aurait pu appeler Rien de grave si le titre n’était pas déjà « enjustiné ». Aurore Guitry a le sens du rythme, et des aphorismes, c’est l’essentiel. Le monde de ses personnages se scinde autour de la notion du bruit. Il y a ceux du silence, et ceux qui parlent trop. Immobile, elle voudrait être parfois sourde (au lieu de fuir) ou seule dans sa chambre. C’est le roman fixe d’une mutation. Et la très belle conclusion confirme : « j’ai enlevé mes chaussures ». Enfin, elle va pouvoir marcher, comme Doinel à la fin des 400 Coups qui, pieds nus, entre dans la mer à l’aurore.