Avant-Critique Roman

David Lopez, "Vivance" (Seuil) : Cueillir le jour

David Lopez - Photo © Bénédicte Roscot

David Lopez, "Vivance" (Seuil) : Cueillir le jour

David Lopez revient à la France périphérique de Fief et nous entraîne ici dans un vert no man's land vibrant de sensations et peuplé d'êtres désœuvrés.

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Par Sean Rose,
Créé le 29.07.2022 à 09h00

Dans son premier roman Fief (Seuil, 2017), David Lopez mettait en scène une bande de jeunes d'une« petite ville [...] à cheval entre la banlieue et la campagne », située dans une France pavillonnaire et rurbaine, qu'on qualifierait volontiers de périphérique, si tant est qu'elle se référât à un quelconque centre. Plutôt coupée de tout, elle se vit elle-même comme une zone autarcique. Ni « des p'tits bourges des lotissements, [ni] des cailleras de cité », les protagonistes sans devenir particulier de Fief se retrouvaient chez les uns chez les autres à rouler des joints, en parlant de tout de rien, surtout de rien hormis la substance qu'ils fumaient pour tuer le temps.

Le lauréat du prix Livre Inter 2018 retourne à cette France-là, et c'est dans un no man's land sans doute plus verdoyant qu'il nous entraîne avec le narrateur de sa nouvelle fiction Vivance. Il nous plonge dans le quotidien d'un « homme sans qualité » qui se raconte alors qu'on le suit dans son errance. In medias res. Jeté au cœur de l'action. Si ce n'est qu'ici David Lopez semble continuer à dessiner une œuvre dont le thème n'est pas tant l'action que l'inaction, ourdir une étoffe faite d'histoires sans histoire, de drames miniatures comme autant de motifs à l'échelle de vies minuscules. Le narrateur sort de la douche. Il rejoint Noël, l'ami qui l'héberge. L'ami boit sans soif et vous soûle de ses paroles - mauvaises blagues et anecdotes resservies à satiété. Le narrateur n'écoute plus, il veut revoir l'endroit où lui et Renata, celle qu'il aimait et qui l'a quitté, allaient parce qu'on y avait un beau point de vue et que de là Renata pouvait lancer du pain rassis pour nourrir les canards. D'autres amis passent et repassent dans ces pages, tel Denis, le voisin qui vend de la marijuana qu'il cultive dans son jardin. Personne ne travaille vraiment. Tous vivent d'expédients, de cette « sainte Trinité » que sont les « petits trafics-potager-fraude aux aides sociales ». Comme en écho au départ de Renata, son chat Cassius s'est fait la malle. Le narrateur part à la recherche du vieux matou. Il enfourche sa bicyclette, parcourt le vallon, remonte la montagne, sillonne ce paysage peuplé de solitudes. Quête sans Graal qui vibre de mille sensations, le périple à vélo donne corps à une réconciliation entre vie et existence. Le narrateur observe une guêpe enivrée par le sucre et prête à tomber dans le piège. « Quand la réalité distribue des gifles elle ramène tout le monde à sa place. Je le vois chaque jour, j'inspire la vie à tous les mourants que je croise. En équilibriste, c'est par amour de la vie, célébration des sens, goût du goût, que la guêpe s'expose à mourir. Ce serait admirable si seulement elle en avait conscience. Son ignorance annule tout. » Nous autres humains en avons conscience. C'est la leçon de Camus à Tipasa : c'est à l'aune de la mort qu'on jouit de la vie.

David Lopez
Vivance
Seuil
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 288 p.
ISBN: 9782021513790

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