David Goodhart est à Paris pour la promotion de son livre Les deux clans, traduction de son analyse de la nouvelle fracture sociale dans les démocraties libérales parue dans la foulée du référendum britannique. Il est celui qui a théorisé sur les « Quelque-Part » (« Somewhere »), ceux qui sont enracinés et croient en une identité collective (souvent le vote ouvrier, non-diplômé, mais pas que) et les « Partout » (« Anywhere »), ceux qui sont mobiles, cosmopolites, sans attache particulière (plutôt les diplômés, les cadres, socialement intégrés). A l'ère d'Internet et de l'information en continu, un « breaking news » chasse l'autre. Le Royaume-Uni devait sortir de l'Union européenne le 31 octobre mais Bruxelles vient d'accorder un délai supplémentaire jusqu'au 31 janvier 2020.

Encarté au Parti travailliste

Il y a trois ans le voisin d'outre-Manche a voté à 51,9 % pour le Brexit : le choc. Pas tant d'étonnement chez David Goodhart qui avait vu venir le rejet des élites par une grande partie de la population. Le populisme n'a pas cessé de progresser depuis. « Le peuple » tonne et ne décolère pas. Partout ce sont des hommes forts au pouvoir, ou des contestations fortes dans la rue ou à travers les urnes : des Etats-Unis aux Philippines, en passant par la Turquie, l'Inde, le Brésil. Plus proche de nous, c'est la Hongrie d'Orban, en Italie le mouvement 5 Etoiles et la Ligue, ici l'installation durable du RN (ex-FN) dans le paysage politique, et les Gilets jaunes. En Grande-Bretagne, le Premier ministre Boris Johnson, champion du « Leave » (le camp pro-Brexit), a la faveur des sondages. Johnson, un anti-élite, pur produit de l'élitisme anglais : diplômé d'Oxford en latin et grec, et passé par Eton, la public school (école privée) la plus sélect d'Albion... Comme David Goodhart.

A-t-il croisé « Boris » à Eton ? « Non, mais nous avons été voisins plus tard et nous avons joué au tennis ensemble. Il était tellement à fond dans la compétition, chaque fois, il a gagné, quoique je sois meilleur joueur que lui », précise-t-il. Le même moule ne produit pas les mêmes gâteaux. Autant l'autre est truculent, un trublion prêt à faire imploser le système (mutatis mutandis à l'instar d'un Trump chez les Républicains), autant David Goodhart est posé. Il a voté « Remain » au référendum de 2016 et est encore encarté au Parti travailliste mais « pas un membre actif ». Né dans une famille d'origine américaine alliée aux Lehman, fils d'un député conservateur, petit-neveu d'un ambassadeur des Etats-Unis, l'ancien correspondant du Financial Times à Berlin et fondateur de la principale revue d'idées, Prospect, est lui aussi un rejeton de l'establishment et à sa manière un rebelle. « J'étais dans les drogues et le rock psyché, plus hippie que militant, au fond, un marxiste rongé par la culpabilité d'être né dans la haute. Je suis entré en rébellion aussi un peu par dépit de n'avoir été un as au cricket », sourit Goodhart. Mais son véritable pavé dans la mare, une rupture dans la pensée consensuelle sociale-démocrate, est cet article « Too Diverse ? » (« trop de diversité ? ») paru dans Prospect en 2004, une remise en cause du multiculturalisme « d'un point de vue de gauche ». Aujourd'hui Les deux clans, originellement paru en 2017 et qui fit date, demeure une anatomie on ne peut plus pénétrante de la nouvelle fracture mondiale.

David Goodhart
Les deux clans
Les Arènes
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 20,90 euros
ISBN: 9782711202003

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