Avant-Critique Roman

David Bosc, "Le Pas de la Demi-Lune" (Verdier) : Mahashima mon amour

David Bosc - Photo © Wiktoria Bosc

David Bosc, "Le Pas de la Demi-Lune" (Verdier) : Mahashima mon amour

Sous des couleurs japonisantes, David Bosc dépeint une ville imaginaire, au bord de la mer, qui ressemblerait bien à Marseille.

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Par Sean Rose,
Créé le 16.08.2022 à 09h00 ,
Mis à jour le 16.08.2022 à 12h19

Tout lieu en littérature est une utopie, il n'existe nulle part si ce n'est, fixé par les mots de l'écrivain, sur les pages d'une œuvre de fiction. Il a beau se référer à une géographie de pierre et de chair, se situer quelque part en vrai sur le territoire réel, cette réalité-là ne sera jamais que retranscrite au prisme de la mémoire forcément subjective de son auteur, de son œil sélectif. « Alentour, ce sont des garrigues, la densité nue, lente, d'un tapis de garrigue où l'herbe haute à peine plus qu'un doigt, quand elle tremble au vent, pince le cœur. » Ainsi se déploie le paysage du nouveau roman de David Bosc, Le Pas de la Demi-Lune, sous le regard de Ryoshū. « Et tout à coup - sans que rien ne l'ait annoncé, sinon la déchirure accentuée des roches et la rumeur d'une obstination : la mer. » Malgré les noms nippons des protagonistes et les toponymes aux sonorités japonisantes de cet étrange récit (Mahashima, Legūdo, Manosaka...), c'est de Marseille, des calanques ou de l'arrière-pays provençal - les Goudes, Manosque - qu'il s'agit, c'est la lumière de la Méditerranée qui baigne tout entière cette odyssée vers l'enfance.

Mahashima a été naguère la puissante capitale d'un empire, aujourd'hui abandonnée par le pouvoir, laissée à ses ruelles tortueuses et vieux entrepôts, Mahashima n'est plus habitée que par des prolétaires. Le narrateur nous entraîne également dans le tourbillon qui avait délité l'empire. Affrontements dignes de l'ère des shoguns... Ici il est fait mention du déclin de la Fédération des Royaumes du Couchant, là on nous dit que « le Nord tout entier a sombré dans la violence et l'idiotie » ou que « de l'Est, plus rien ne venait que le vent ». La guerre est un motif comme dans Le rivage des Syrtes de Julien Gracq ou Sur les falaises de marbre d'Ernst Jünger.

Le calme est revenu, Ryoshū vit avec sa compagne Shākudo, qui fabrique des albums illustrés et lit des histoires aux enfants. À Mahashima, il fait bon vivre. Pourtant Ryoshū décide un jour de retourner sur les lieux de ses tendres années. « Je suis sorti pour une nuit de lune dans les paysages de mon enfance. » La phrase sonne comme un vers, vers libre qui s'envole et ouvre une brèche dans le passé du héros. Dansent alors, tel un ruban au vent, les souvenirs du petit garçon qu'il fut, le visage de ses parents, le spectre des troubles qui ont ravagé le pays et marqué sa jeunesse.

Le Pas de la Demi-Lune est une manière d'estampe japonaise - une vue sur le port de la cité phocéenne, traversée par mille lignes de fuite vers un futur fantasmé. Futur ou passé, peu nous chaut, le temps est un mirage. Par le sortilège d'une prose à la lenteur envoûtante, l'auteur de La claire fontaine nous berce ici d'images intimes et de sensations infra-minces en nous faisant faire des allers et retours, à l'instar des vagues, entre le vide du flottement présent et le plein d'une mémoire vive. Et nous sommes des dupes consentantes, parce que nous n'ignorons point avec lui que ce que les autres appellent « réalité » n'est pas moins illusoire. Ou plutôt, que le rêve, l'imaginaire, la poésie font aussi partie du réel.

David Bosc
Le Pas de la Demi-Lune
Verdier
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17 € ; 192 p.
ISBN: 9782378561345

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