Avant-critique Roman graphique

American bad dream. De David Boring à Ghost World, de Wilson à Patience, Daniel Clowes, l'un des maîtres de la bande dessinée américaine contemporaine, s'est toujours montré un observateur aiguisé de ses contemporains, révélant leurs envies, leurs frustrations, leur mal-être. Monica, son premier album depuis 2016, ne fait pas exception. Monica est un ambitieux recueil de neuf histoires, neuf tranches de vie qui, comme des nouvelles, pourraient très bien se lire indépendamment. De longueurs différentes, elles s'inspirent pour bon nombre d'entre elles des EC Comics, ces BD de genre des années 1940-1950 dont Clowes est fan (récits de guerre, histoires de détective, horreur, fantastique...). Centrées sur divers personnages, elles sont néanmoins toutes connectées et concourent à brosser les portraits troublants de Monica et de sa mère Penny. Lointainement inspirée par la propre mère de l'auteur décédée en 2019, Penny, mère célibataire, a abandonné Monica à ses grands-parents alors qu'elle n'était qu'une enfant. Cette dernière passera des années à la rechercher, la soupçonnant d'avoir rejoint une secte après avoir mené une vie de bohème. C'est cette quête, de la mère absente mais surtout d'identité, qui forme le cœur de Monica.

Dans cet album nimbé de fantastique, où le malaise et l'horreur semblent pouvoir surgir à tout moment pour fracasser le quotidien, Daniel Clowes gratte méticuleusement le vernis de normalité qui recouvre ses protagonistes pour révéler leur lâcheté, leur solitude, leurs frustrations, leur égoïsme. Mais à travers ses deux héroïnes et leur entourage, c'est aussi tout un pan de l'histoire et de la société américaines du XXe siècle qu'il dépeint : la guerre du Vietnam, les années hippies, la fin du rêve peace and love et les désillusions de la révolution sexuelle, les sectes, l'individualisme des années 1980-1990 (à travers la réussite professionnelle de Monica, self made woman)... Par des détails intrigants, par des ellipses, par le recours au récit de genre, Daniel Clowes instille tout au long de Monica une ambiance inquiétante. Mais cette sombre fresque fragmentée est illuminée par la perfection de ses couleurs et par son trait clair, affermi et comme dopé par ses influences (des caricaturistes britanniques du XVIIIe siècle aux EC Comics susmentionnés). Un album d'une force rare, aux multiples zones d'ombre laissées à l'interprétation des lecteurs, qui hante encore longtemps après qu'on l'a refermé.

Daniel Clowes
Monica
Delcourt
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 108 p.
ISBN: 9782413081876

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