La philosophie pour tous, mais sous certaines conditions... C'est le paradoxe dévoilé par Sébastien Charbonnier dans cet essai malin. D'un côté, les philosophes se réjouissent de voir enfin leur discipline rendue obligatoire à la fin du lycée. De l'autre, ils se demandent si cela vaut la peine.

En faisant appel à l'histoire, à la sociologie et aux témoignages d'élèves de terminale, ce professeur, déjà auteur d'un Deleuze pédagogue (L'Harmattan, 2009), recherche les conditions d'une juste distribution de la philosophie en France depuis son institutionnalisation par Victor Duruy sous le second Empire. "Au lycée, on prépare l'homme", insistait le ministre de l'Instruction publique. Quel sens donner à cette formule aujourd'hui ? Comment fait-on cours désormais et à qui s'adresse-t-on ? A l'élève, au citoyen, à un public indéterminé ? Sébastien Charbonnier aborde toutes ces questions en soulignant combien elles relèvent de la politique et de l'idée que l'on se fait de la société.

Il rappelle aussi comment le rapport Bouveresse-Derrida en 1990 avait mis le feu aux poudres. Les professeurs de philosophie veulent conserver leur élitisme républicain, leur culte des grands auteurs et leur surplomb sur la masse inculte par le cours magistral. On veut bien enseigner la philosophie, mais d'abord entre soi, et ensuite un peu pour les autres. A force de vouloir conserver la sagesse, on devient moins sage et conservateur.

Sébastien Charbonnier donne quelques exemples savoureux de ces querelles byzantines avec des profs qui contestent un concours parce que le texte choisi de Platon ne serait pas assez platonicien... Entre le discours généreux et la pratique, il y a ces gens qui discutent entre eux et des lycéens qui trouvent tout cela "difficile et abstrait".

L'essai de Charbonnier n'est pas un pamphlet. C'est un travail sérieux, précis, sur une discipline toujours menacée qui doit trouver sa voie entre son institutionnalisation et son émancipation.

Pour que la classe de philo ne devienne pas l'exemple du lieu où s'exprime la crise de la philosophie, les professeurs de philosophie et tous ceux qui sont concernés par l'enseignement en général devraient lire cette enquête passionnante.