A 27 ans, le narrateur passe sa ceinture noire de karaté. Cet art martial, il l'a pratiqué depuis dix ans à la suite d'une agression dans une ruelle de Palaiseau, en Essonne. Il l'avait échappé belle mais s'était dit plus jamais l'insécurité, d'où ce sport de combat. L'entraînement a porté ses fruits, il a décroché son premier dan. Le narrateur est également écrivain, c'est Hugo Boris, l'auteur d'une demi-douzaine de romans -Le baiser dans la nuque (Belfond, 2005), Trois grands fauves (même éditeur, 2013), Police (Grasset, 2016), tous repris Chez Pocket - et qui signe en cette rentrée d'hiver Le courage des autres. Le registre est autofictif, voire introspectif. La plume d'Hugo Boris trempe dans le mercure, son écriture est labile, et c'est toujours avec bonheur qu'on découvre à chaque ouvrage un nouvel avatar de l'écrivain.
L'observateur dit « herboriser ». A savoir : collecter des bribes de vies, des conversations écoutées à la dérobade, des situations cocasses, pathétiques, dans les lieux publics. Partout il note, mais surtout dans le métro. Hugo Boris est dans le RER, sur la ligne Palaiseau-Villebon, un jeune homme à la peau sombre dort sur la banquette, occupant les quatre places à lui tout seul. Lui s'installe plus loin. Le type se réveille, son sac à dos a disparu. Il s'énerve, sillonne la voiture, hystérique, bouscule les passagers. Un truc cogne contre les portes. Une femme noire s'écrie : « Attention ma fille ! » ; l'homme à côté - son mari ? - commence à frapper le jeune énervé, l'homme continue de le frapper alors qu'il est au sol. On ne voit plus grand-chose à cause de l'attroupement, il faut tirer la sonnette d'alarme. Le jeune Black s'est relevé. Panique à bord. A-t-il sorti un couteau ? Courage fuyons ! Hugo Boris détale aussi : « Je reste ahuri, la bouche sèche, fasciné par ma propre absence. Je sais à cet instant que je pourrais passer tous les dan possibles sans que cela ne change jamais rien à la sidération dans laquelle je suis plongé à cet instant. » Après « Sidération » le roman se décline en « Admiration » et « Affirmation ». SDF, suicides, altercations, incivilités, racisme, homophobie... Les transports en commun, c'est circuler parmi nos forfaitures, ne fût-ce notre blindage contre la misère. L'auteur ne justifie rien, il s'agit de cerner l'angle mort, la faiblesse qui fait honte, la bravoure qui nous surprend nous-mêmes, dire simplement ce qui fait, selon le mot de Kant, « le bois tordu de l'humanité ».
Le courage des autres
Grasset
Tirage: NC
Prix: 17 euros ; 144 p.
ISBN: 9782246820598