« Je pense que le mythe du journal papier est mort. Cette heure sacrée de nos pères et grands-pères quand ils lisaient le samedi matin leur journal, ce moment élu où ils ne voulaient pas entendre d’autre bruit dans la maison que le grincement du papier journal est mort aussi, comme l'industrie du charbonnage est morte elle aussi. » Pêchée au hasard, c’est l’une des centaines — sans doute des milliers, à l’heure où vous lirez ces lignes — de réactions envoyées en ligne sur le site de Libération à la suite de leur double page d’appel à l’aide d’hier. Si Libération , qui va mal (nul ne l’ignore plus aujourd’hui) espérait susciter, avec ce SOS, une marée de soutiens, c’est râpé. Au dire des responsables web de la maison, aucun article n’avait pourtant jamais déclenché un tel afflux de réactions, mais celles-ci sont majoritairement négatives. Libé , se plaignent ses lecteurs, aurait perdu son âme et ce qui lui arrive ne serait que juste retour des choses. Ce n’est pas le lieu ici d’en débattre ni d’en juger, mais la lecture de ces centaines de billets est passionnante pour quiconque s’intéresse à l’avenir de la presse en particulier et de l’écrit en général. On voit bien, en filigrane, que dans ce public de lecteurs de presse (et ne perdons pas de vue que les acheteurs de journaux sont aussi des acheteurs de livres : la consommation culturelle est toujours cumulative), un basculement s’est désormais totalement opéré : s’agissant de la simple information (« les news », comme le résume un internaute), deux médias triomphent aujourd’hui, la radio et l’Internet. Acheter et lire un journal papier n’a plus de sens, disent-ils, que si ce journal est capable de leur offrir une forte plus-value dans le traitement de l’information : prises de position, éclairages, ton spécifique, etc. Bref, marquer ses divergences avec la sorte de pensée unique qui sort du robinet à informations. Bruno Patino, directeur de la publication de Télérama , dans l’entretien qu’il nous a accordé et que nous publions aujourd’hui à l’occasion de la nouvelle formule de l’hebdomadaire culturel, ne dit du reste pas autre chose : un titre généraliste qui n’est pas capable aujourd’hui d’asseoir sa personnalité ne pourra que souffrir. Le même jour où Libération découvre que ses lecteurs sont de moins en moins disposés à payer 1,20 euros pour « un journal qui a perdu toute sa personnalité » (dixit moult internautes), on apprenait qu’Arnaud Lagardère venait de débarquer un baron historique de son groupe, Gérald de Roquemaurel, patron de la branche presse d’Hachette (et fils ou neveu, je ne sais plus, d’Ithier de Roquemaurel, qui dirigea naguère la branche Livre), pour le remplacer par un cadre venu des télécommunications, qui sera chargé d’opérer la « convergence » (mot magique à la mode) entre les activités presse et les activités numériques de Lagardère. Quand on lit tout cela, on se dit que le livre demeure miraculeusement « préservé » du maelström qui touche la presse écrite. Quand on lit tout cela, on se dit qu’il n’est pas possible que ça dure encore longtemps.
15.10 2013

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