Les amateurs de Mario Vargas Llosa applaudissent. En ce printemps, Gallimard a bien fait les choses. L’éditeur propose rien de moins que trois volumes du Péruvien. Une nouvelle traduction de son roman Conversation à La Catedral ; un recueil d’essais, La civilisation du spectacle ; et son nouvel opus, cet étonnant roman qu’est Le héros discret.
On lira ici deux histoires parallèles qui finissent par se rejoindre. La première met en scène Felícito Yanaqué. Le patron de l’entreprise de transports Natihuala habite dans le centre de San Miguel de Piura, au nord du Pérou. Voici un homme de plus de 50 ans qui est né pauvre et a réussi grâce au travail. Il porte veste, gilet, cravate avec nœud miniature et chapeau. Marié sans amour à Gertrudis, avec laquelle il a eu deux fils aujourd’hui grands, monsieur entretient une courtisane, la brunette Mabel, qui l’appelle "p’tit vieux". Il lui rend visite le vendredi et l’aime de tout cœur. Un matin, Felícito trouve une enveloppe bleue collée à sa porte. La lettre l’invite à verser cinq cents dollars par mois à une organisation pour assurer la protection de son entreprise en bonne santé, exposée à "des dégradations et du vandalisme de la part des aigris, envieux et autres gens de mauvaise vie qui ici ne manquent pas". Céder ? Pas question, surtout quand on a eu un père qui, sur son lit de mort, vous a conseillé de ne jamais vous laisser marcher dessus par personne. Son amie Adelaida, dont une inspiration lui a jadis sauvé la mise, lui suggère pourtant de payer les maîtres chanteurs. Ce qu’il va refuser de faire, même quand ses locaux seront incendiés.
L’autre histoire narrée par le prix Nobel de littérature 2010 nous entraîne à Lima. Patron d’une compagnie d’assurances, don Ismael Carrera est un riche et respectable notable. Agé de bientôt 80 ans, ce veuf a l’intention de se remarier avec sa servante sans en avertir ses fils, des jumeaux, forbans de la pire espèce, arborant des Rolex au poignet. Carrera a demandé à son ami Rigoberto d’être son témoin. Celui-ci a accepté bien volontiers de se prêter au jeu. Lui aussi a des soucis avec son fils. Mais d’un autre genre puisque l’adolescent de 15 ans converse avec un certain Edilberto Torres, qu’il est le seul à voir. Est-ce le diable, comme dans le Docteur Faustus de Thomas Mann, ou une invention de l’enfant ?
Mario Vargas Llosa s’amuse à mélanger les genres, à jouer avec la fable, la comédie et la tragédie. A surprendre le lecteur qui met longtemps avant de comprendre où il veut en venir. On trouvera sous sa plume affûtée des coups de théâtre, des trahisons, des ruptures définitives. De l’incompréhension entre les êtres. Un portrait du Pérou d’aujourd’hui. Une réflexion sur le renoncement et le vieillissement. L’ensemble est un vrai régal. Alexandre Fillon