L’histoire, pour quoi faire ? La question n’est pas nouvelle, mais elle redevient intéressante lorsque c’est un spécialiste de la mondialisation - celle du XVIe siècle - qui y répond. Serge Gruzinski enseigne en France (EHESS), aux Etats-Unis (Princeton) et au Brésil (Belem). L’auteur de L’aigle et le dragon (Fayard, 2012) est donc particulièrement bien équipé pour élargir notre champ de vision et s’attaquer à ce qu’il nomme les passés "mous", ces passés faits de clichés où l’histoire devient un parc à thème. "Les chaînes de télévision, les magazines spécialisés et les productions cinématographiques recyclent inlassablement des passés qui n’ont souvent qu’un lointain rapport avec ceux que reconstitue la recherche universitaire."
Il pointe aussi le danger des commémorations, "ces périlleux exercices de remémoration qui font du présent un pâle reflet du passé et rarement l’amorce d’un avenir". Ce sont pour lui des terrains minés de la scène historico-mémorielle où, dans le meilleur des cas, on parvient à poser des questions sans entendre les réponses. Avec un bel enthousiasme, Serge Gruzinski plaide pour une mémoire critique qui se cherche dans la perspective globale, dans la compréhension des liens qui se nouent entre les sociétés pour faire dialoguer les passés avec les présents. Car, on le constate chaque jour, plus le passé est présent, plus l’avenir s’éloigne. Au royaume du vieux, les insolents ont les mains pleines car ils rapportent un peu de tout sans rien vérifier.
Serge Gruzinski propose donc d’ouvrir la focale, de sortir de l’académisme routinier, de visiter les écrans, d’observer les artistes, les chorégraphes, les cinéastes comme Alexandre Sokourov et bien sûr les écrivains, qui sont des créateurs de sens et nous permettent de sortir de la concurrence des mémoires.
L. L.