La gauche est-elle animée des mêmes pulsions doloristes que Leopold von Sacher-Masoch ?
Depuis que la démocratie libérale existe, ne voit-on pas qu'elle a gouverné bien moins souvent que la droite ? Ne serait-ce qu'en France, le bilan au XXe siècle est assez maigre : Cartel des gauches en 1924 et Front populaire en 1936 additionnés guère plus de trois ans, auxquels s'ajoutent les sept mois de Pierre Mendès-France, puis quelques autres de Guy Mollet, en tout "cinq ans de gauche sur le siècle avant 1981". Bien sûr, François Mitterrand avec son double septennat demeure l'exception... Pourquoi ? s'interroge l'auteur du présent essai, Cette obscure envie de perdre à gauche. Défaut dans le programme ou le bilan, Jean-Philippe Domecq ne pense pas que ce soit là que gît le problème. Pour l'écrivain et polémiste, force est de constater avec le seul homme à gauche à avoir su se maintenir au pouvoir qu'il faut des circonstances exceptionnelles pour que la gauche gagne. Les partis de progrès, qui ont pour ambition que la situation change, se confrontent à l'inévitable inertie des choses, alors que "le conservatisme part avec un avantage plus que considérable : l'avantage de toujours, du Toujours, puisque ce qui est déjà là, intériorisé séculairement, quotidiennement par les mentalités, rassure comme l'habitude". Mais outre ce constat de départ, ce que Domecq pointe ici du doigt dans le syndrome de l'échec électoral de la gauche est le déni de réalité de l'aile radicale de son propre camp, son refus catégorique du compromis. La gauche perd par sa gauche. Petit tour d'horizon au-delà de l'Hexagone. Al Gore a perdu contre George W. Bush à cause d'un décompte des voix plus que douteux validé par la Cour suprême des Etats-Unis. Mais de fait aussi à cause des électeurs qui ont voté pour un autre candidat censément plus radical et écologiste, Ralph Nader, "eux qui ensuite eurent les plus bruyants lamentos pour déplorer ce que la politique de Bush fit au monde, en Irak, en Afghanistan, au Moyen-Orient, à l'Organisation des Nations unies", >etc. En Italie, la chute du raisonnable Prodi, forcée par cette gauche de la gauche à jamais insatisfaite de réformes jugées trop molles, ouvrit un boulevard à Berlusconi ! Revenir au cas français - l'éviction "infamante" de Lionel Jospin du second tour de la présidentielle au profit du candidat du Front national - est douloureux mais nécessaire pour méditer ce qu'il convient d'appeler le "bovarysme de gauche », le rêve d'un "lointain" géographique (avant la chute du mur de Berlin : l'URSS, la Chine de Mao) ou temporel "l'Avenir" : "La gauche est pudibonde avec le pouvoir comme le XIXe siècle l'était avec le sexe. Au fond de la mentalité de gauche, il y a que le pouvoir salit." Mais à trop vouloir des lendemains qui chantent et ne pas vouloir assumer le pouvoir, on risque bien de se retrouver avec un présent qui déchante.