Au début des années 1960, vivait à Paris un sacré olibrius, Melvin Van Peebles. Né à Chicago en 1932, cinéaste, acteur, musicien, écrivain, il était venu en France sans un cent en poche, à l’invitation de la Cinémathèque française. Et il est resté six ans. Apprenant le français tout seul, au point d’écrire directement dans notre langue, pigeant un temps à France Observateur, ancêtre de L’Obs, puis, grâce à Chester Himes, faisant la connaissance de la joyeuse bande d’Hara-Kiri, qui va l’adopter. C’est, de 1964 à 1966, dans ce magazine poil à gratter qu’il va prépublier Le Chinois du XIVe, illustré par Topor.
Douze "contes de comptoir", censés avoir été narrés par les habitués, voire les tenanciers eux-mêmes de Mon Moulin, un bistrot populaire du XIVe arrondissement, une soirée où une coupure de courant les avait réunis autour de quelques bouteilles et d’une lampe à pétrole. Le procédé narratif est connu, au moins depuis le Décaméron, et la trame romanesque plutôt mince, mais on s’en fiche. Ce qui compte, c’est la jubilation de l’écrivain, qui s’ébroue dans le français comme chez lui, et qui prête sa plume à ses personnages, plaidant pour le pinard contre l’atome, les chiens plutôt que les enfants - la patronne -, son singe plutôt que les humains - le patron, interrompu par le retour de la fée électricité. Le "négro américain dessalé", dixit Cavanna, avait, lui, raconté une histoire de ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis.
Pendant les années 1960, la lutte des Noirs pour l’égalité des droits secouait l’Amérique. Dans la France gaullienne, en juin 1966, Hara-Kiri fut une première fois interdit. Melvin Van Peebles en profita pour retourner bosser chez lui : disques, longs-métrages, dont Sweet Sweetback’s Baadasssss song, en 1971, le film fondateur du cinéma de "blaxploitation". Il vit aujourd’hui à New York. On aimerait bien qu’il revienne voir si son Moulin tourne toujours. J.-C. P.