Planter des arbres ou des éoliennes pour compenser l'empreinte carbone des livres ?
L'idée fait son chemin parmi les acteurs de la filière qui sont de plus en plus nombreux, à l'instar du groupe Editis, à intégrer la compensation carbone dans leur stratégie RSE. En quelques années, la « neutralité carbone » et la « compensation », présentée comme l'un des outils pour y parvenir, sont en effet devenues des totems brandis par les États comme par les entreprises pour témoigner de leur écoresponsabilité. Pourtant, ce mécanisme est contesté par de nombreuses ONG environnementales qui y voient une fausse solution, inefficace voire franchement dangereuse.
Initiée en 1995 avec le protocole de Kyoto, la compensation carbone repose sur le principe qu'une tonne de carbone émise à un endroit du monde peut être compensée par la séquestration ou la réduction d'une tonne de carbone ailleurs. Pour Leduc, qui s'est lancé dans l'impression d'un livre « climatiquement neutre » avec Océans face à face, paru en octobre 2021, cet ailleurs se trouve aux Philippines et à Aruba, où ses financements soutiennent des projets éoliens ainsi que le ramassage de déchets plastiques. « C'est une solution temporaire, l'objectif prioritaire reste la réduction des émissions. Mais en attendant de s'acheminer vers la neutralité carbone, nous compensons pour limiter notre empreinte dès aujourd'hui », plaide Barbara Astruc, directrice éditoriale chez Leduc.
Un enjeu de temporalité
D'autres maisons investissent dans des programmes de reforestation. « Beaucoup d'éditeurs s'en tiennent à la plantation d'arbres, qui de fait vont absorber du carbone, sans aller jusqu'à la compensation que nous proposons également mais qui requiert l'obtention de crédits carbone certifiés », explique Katia Prassoloff. Responsable marketing de la société française Reforest'Action, elle cite parmi ses clients IGB Édition, Ant Éditions, Bloomsbury ou encore Bonnier Books. « C'est important de planter dès à présent », assure-t-elle encore, invoquant le temps long de croissance des arbres tandis que les émissions, elles, sont immédiates.
Un enjeu de temporalité que mettent aussi en avant les détracteurs de la compensation, inquiets des dérives de cette course au carbone. « Certains commettent l'erreur de planter uniquement des essences qui poussent vite et stockent rapidement du CO2, comme les eucalyptus. Mais dans ce type de monoculture, il n'y a pas de biodiversité, les sols sont asséchés, et tout brûle très vite en cas d'incendie. Il y a aussi des situations où les communautés locales sont exclues de leur propre forêt sous prétexte de la préserver », reconnaît Katia Prassoloff. Consciente de ces écueils, Reforest'Action cherche à maximiser les bénéfices de ses projets pour la biodiversité, la filtration de l'eau, ou encore le bien-être des populations.
« La compensation, c'est le 2/20 de l'écologie du livre, ce n'est pas une réponse à la hauteur de l'enjeu », juge pour sa part Baptiste Lanaspeze, fondateur des Éditions Wildproject dédiées aux pensées de l'écologie. « Elle est symptomatique du fait que l'enjeu climatique a presque remplacé l'enjeu écologique dans le débat », poursuit l'éditeur marseillais qui appelle plutôt à « réfléchir ensemble à une filière écologique de A à Z ».