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Comment repenser son rayon pratique

L'annexe « Art de vivre » de Folies d'encre, à Montreuil. - Photo Olivier Dion

Comment repenser son rayon pratique

L'essor de titres aux thématiques plus transversales et aux catégories toujours plus poreuses oblige les libraires à réviser l'organisation de leur assortiment. _ par

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Par Cécilia Lacour,
Créé le 13.02.2020 à 21h15

Des livres de cuisine zéro déchet ou pour prendre soin de sa santé, des guides pour créer des cosmétiques naturels, des titres qui flirtent avec l'ésotérisme... Au rayon pratique, la production éditoriale mêle souvent plusieurs segments dans un même livre. Certaines thématiques au cœur des préoccupations de notre société, comme l'écologie, le féminisme ou la quête d'une vie plus saine, sont abordées dans des ouvrages qui peuvent relever à la fois du pratique, de l'essai et du témoignage.

Le rayon pratique de la librairie Millepages, à Vincennes.- Photo OLIVIER DION

« Il existe une profusion de parutions avec des frontières de plus en plus fines entre les segments, et des titres plus transversaux », décrit Emilie Montbarbon, directrice générale de la librairie Montbarbon (Bourg-en-Bresse). « Les livres mode d'emploi disparaissent progressivement au profit d'ouvrages qui apportent de la théorie, du contexte, du vécu, voire de la fiction. On reste sur du pratique mais celui-ci prend de nouvelles formes », confirme Nicolas Seine, propriétaire de La Flibuste (Fontenay-sous-Bois).

Pôles transversaux

La mutation du pratique oblige les libraires à repenser leurs rayons. Non sans difficultés. « Je cherche encore comment dynamiser le rayon pratique, admet Pierre Morize, cogérant de Liragif (Gif-sur-Yvette). Par exemple, l'écologie déborde partout donc je garde les livres sur le zéro déchet et le recyclage dans le rayon écologie pour ne pas séparer l'aspect théorique du pratique. Mais cela résulte de décisions arbitraires. » Pour Nicolas Seine, le libraire doit penser son rayon par « pôles thématiques » sans forcément faire de distinction entre le pratique et l'essai. Il a lui aussi fait le choix de regrouper ensemble les titres consacrés à l'écologie car « la théorie ne va pas sans le pratique, et inversement ».

Au printemps, la librairie Montbarbon proposera un rayon remodelé avec des pôles transversaux. « L'objectif est d'avoir des points de jonction entre le pratique, les sciences humaines, l'actualité et la jeunesse », explique Emilie Montbarbon, qui compte adapter son rayon Sciences humaines en conséquence. Nous reverrons nos familles en sciences humaines pour que la nouvelle nomenclature s'adapte à ces évolutions. » Cette réorganisation est notamment permise grâce à l'emplacement « assez central » du pratique au sein de l'établissement.

Mobilier modulable

Ouverte fin août 2019, l'annexe « Art de vivre » de Folies d'encre propose un rayon pratique orienté vers le bien-être. « Nous l'avons construit à partir des 5B d'Interforum : bien dans sa tête, bien dans son corps, bien dans son assiette, bien dans sa famille et bien dans son monde », raconte Amanda Spiegel, gérante de Folies d'encre, qui a associé les diffuseurs « dès le début du projet ».

Elle a misé sur un mobilier modulable pour pouvoir s'adapter facilement aux évolutions du rayon et choisi de ne pas placer de séparation verticale entre les thématiques pour mieux représenter la porosité de la production éditoriale. Afin d'opérer un rangement pertinent entre les sciences humaines, situées au sein de Folies d'encre, et le pratique, localisé dans l'annexe à deux pas de la librairie, l'équipe d'Amanda Spiegel s'appuie sur une règle simple. « Ici, je propose tous les livres qui répondent à la question Comment ? tandis que les sciences humaines répondent à celle du Pourquoi ? », détaille Yaële Moreau, responsable de cet espace. Cette distinction n'empêche toutefois pas les conflits entre les deux rayons. « Nous procédons parfois à des doublons. Mais uniquement quand nous sommes un peu lâches en arbitrage, ou quand nous savons d'avance qu'un titre va marcher dans les deux librairies », explique Amanda Spiegel.

Profondeur de gamme

Au-delà de l'organisation physique du rayon, son assortiment ne doit pas non plus être négligé. « Les librairies indépendantes laissaient parfois le pratique vivre tranquillement dans son coin, en se disant que les livres allaient se vendre tout seuls », observe Nicolas Seine.

Pourtant, dans ce rayon aussi les clients sont en quête de conseils précis et pertinents... qui débordent parfois du cadre de la librairie. « Si un client recherche un livre sur les huiles essentielles pour soigner une pathologie, il faut aussi penser à l'orienter vers un médecin », relate Yaële Moreau.

Pour répondre à une demande éclectique, les libraires doivent veiller à constituer un assortiment judicieux et à faire le tri dans une production éditoriale souvent profuse. « Le nom et la réputation de l'éditeur sont un repère dans mes choix », indique Pierre Morize. Emilie Montbarbon prête attention à « la démarche de l'auteur, son expertise, son angle, au prix, au degré de complexité et à l'esthétique du livre » afin de proposer « une profondeur de gamme susceptible de répondre à tous les clients ». Dans l'annexe « Art de vivre » de Folies d'encre, Yaële Moreau mise, elle, sur quatre types de livres : « le beau livre, le petit livre facile d'accès, un qui se situe entre les deux et la déclinaison sous forme de témoignage si elle existe ».

L'assortiment devrait-il aussi inclure des objets ? « De ce que j'ai pu voir, les objets et coffrets marchent plutôt bien mais ils prennent de la place et demandent à être mis en scène », observe Nicolas Seine qui n'en propose pas au sein de La Flibuste. Grâce à la papeterie accolée à l'annexe « Art de vivre », Amanda Spiegel répartit divers objets, comme des bougies, de la laine ou encore des bee wraps (des emballages écologiques en cire d'abeille), entre les livres. « Il n'est pas indispensable de proposer des produits car c'est un autre métier. Nous possédons le savoir-faire grâce à la papeterie », estime-t-elle.

Avec les fortes préoccupations écologiques actuelles, les libraires doivent cependant faire attention aux produits proposés. « Les emballages ou les objets en plastique, cela passe très mal désormais », assure Pierre Morize. A Bourg-en-Bresse, Emilie Montbarbon pense se passer d'objets dans son futur rayon. La commune dispose déjà d'une boutique, Le Pittoresque, qui « valorise les démarches zéro déchet et qui prêtent attention à leur impact environnemental. Donc, autant nous concentrer sur les livres », explique-t-elle.

Dégustation

En revanche, des animations spécifiques sont envisageables. En octobre dernier, La Flibuste a par exemple organisé, en compagnie des auteurs, une dégustation de « trois ou quatre vins naturels » mis à l'honneur dans le Glou Guide 2 de Jérémie Couston et Antonin Iommi-Amunategui (Cambourakis). Pourquoi ne pas imaginer profiter de l'engouement pour les ateliers « do-it-yourself » (DIY) en proposant aux clients de confectionner des savons ou encore des tawashis, ces éponges zéro déchet construites à partir de vieux tissus ? A chaque libraire d'expérimenter.

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