Utopiales 2023

Comment la science fiction s’empare de la science dure

Ugo Bellagamba, Ayavi Lake, Pierre Bordage (projeté à l'écran) et Floriane Soulas sur la grande scène des Utopiales 2023. - Photo Fanny Guyomard

Comment la science fiction s’empare de la science dure

Pour les auteurs de science-fiction, ce genre est un moyen de vulgariser la science dure, en y ajoutant une réflexion personnelle, voire spirituelle. Réunis au festival des Utopiales, les écrivains Pierre Bordage, Floriane Soulas et Ugo Bellagamba expliquent pourquoi et comment ils basculent de la science à la fiction, en convoquant les notions éclairantes de réalisme magique et de merveilleux scientifique.

J’achète l’article 1.5 €

Par Fanny Guyomard
Créé le 06.11.2023 à 17h08 ,
Mis à jour le 07.11.2023 à 10h57

En 1945, le physicien Frédéric Joliot-Curie menaçait de se mettre en grève si les résultats des scientifiques étaient utilisés à mauvais escient. Quid des écrivains de science-fiction qui les extrapolent et se saisissent des connaissances scientifiques pour élaborer un monde cauchemardesque ?

Réalisme magique et merveilleux scientifique

C’est une question qui a traversé le festival des Utopiales, qui se tenait à Nantes jusqu'au 5 novembre : pourquoi et comment la science-fiction tisse théories des sciences dures et réflexion ontologique ? « Pourquoi », c'est pour s'ancrer dans le réel. « Il faut que le lecteur ait un repère, pour se projeter et comprendre qu’il y a de vrais enjeux dans l’histoire », introduit dans une table ronde Floriane Soulas, docteure en génie mécanique et autrice des Oubliés de l’Amas (prix Utopiales 2022).

« J’essaie de rendre au maximum mes romans crédibles. On sait qu’on va raconter des choses qui ne sont pas avérées, mais le lecteur doit y croire », rejoint Pierre Bordage, le père des Guerriers du silence. Pour cette trilogie de space fantasy, il a d’ailleurs dû réviser les notions d'astronomie pour rendre son univers plus réaliste.

Petits décalages pour grands dépaysements

Puis, en créant des décalages avec la réalité, en introduisant des éléments magiques et merveilleux, le livre jette un regard renouvelé sur la réalité du lecteur. Celui-ci était installé dans un univers familier, et se rend compte qu’il est sur une autre planète, dans un autre univers possible. Comme l'illustre Floriane Soulas : « J’aime utiliser des choses connues et les tisser, de plus en plus, avec des éléments étranges. Puis atteindre un point de bascule. Décrire une décharge, comme si on était sur Terre, puis lever les yeux et se rendre compte qu’on est dans l’espace. »

L'intérêt de cet exotisme : interroger ce qui semble acquis par le lecteur. « La SF explore DES rationalités. Trouve d’autres sens au monde. Alors que le monde occidental baigne encore dans l'idéologie du rationalisme, qui consiste à dire que la raison, c'est telle chose et pas autre chose », enseigne l’historien Ugo Bellagamba, qui signe avec Jean Baret Le Monde de Julia, paru aux éditions Mnémos.

Déranger le lecteur

En basculant vers l'« insensé », la SF s’empare de ce que ne peut expliquer la science. C'est d'ailleurs ce qui peut provoquer des réticences à aller vers ce genre de littérature. « La science-fiction nous met en contact avec des gens très différents de nous, des idées qui nous dérangent, nous bousculent, nous mettent mal à l’aise. Mais c’est en acceptant d’être mal à l’aise qu’on apprend des choses », défend Floriane Soulas. Qui remarque cependant que tout le monde a accepté l’idée de vaisseaux spatiaux, pourtant pas près de voir le jour !

Et à Pierre Bordage de conclure : « La littérature invite à lâcher prise, à accepter d'abandonner nos prêts-à-penser, à sortir de nos zones de confort pour avoir une meilleure compréhension du monde. Ce qui permet de l’explorer de manière efficace. Et pour explorer l’humain, l’auteur de SF n’a pas de limite rationnelle. »

Les dernières
actualités