Comme une chambre d'échos

Après 4 livres chez Stock, Colombe Schneck rejoint Grasset. - Photo OLIVIER DION

Comme une chambre d'échos

Avec ses traditionnels romans générationnels, questionnement sur le couple, plongée dans les histoires familiales, mise en abîme de la création ou retranscription de la réalité sociale, le cru 2012 panache les grands thèmes qui font le sel d'une rentrée littéraire en radiographiant notre société. Car la fiction française est de plus en plus irriguée par le réel et cherche à dire le monde contemporain. Plusieurs romans, cependant, se démarquent par l'originalité de leur sujet.

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avec Créé le 08.10.2014 à 20h37 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

L'AUTEUR EST JOUEUR

En ces temps de crise, qui n'a pas rêvé de gagner au loto, comme dans La liste de mes envies de Grégoire Delacourt (Lattès), une des meilleures ventes du premier semestre ? Le jeune couple au coeur de Trois fois le loyer de Julien Capron (Flammarion) espère bien empocher le pactole aux cartes. Découvrant qu'ils n'ont plus les moyens de se loger à Paris, ils apprennent les règles du poker et s'inscrivent à un mystérieux tournoi en couple avec à la clé un loft. Le prochain roman de Christophe Donner, A quoi jouent les hommes (Grasset), plongera le lecteur dans l'univers des paris sportifs et la folie du jeu, de l'Ancien Régime à l'époque contemporaine. Ce n'est pas pour l'argent mais pour l'esprit que Cédric Villani joue avec les chiffres. Le mathématicien, directeur de l'institut Poincaré, décrit sa vie à la recherche de ce Théorème vivant (Grasset) qui lui valut la médaille Fields en 2010. Dans La déesse des petites victoires de Yannick Grannec (Anne Carrière), une documentaliste tente de récupérer les archives du mathématicien Kurt Gödel. Enfin, ces jeux de l'esprit sont en train de détruire l'héroïne d'Olivier Dutaillis (Le jour où les chiffres ont disparu, Albin Michel), qui souffre de mathématopathie et combat la dictature des chiffres.

L'AUTEUR EST BIOGRAPHE

Les écrivains usent de la fiction pour se glisser dans les interstices des vies de personnages historiques ou s'emparer de personnalités méconnues. Ainsi de Patrick Deville qui s'est plongé dans les archives de l'institut Pasteur et raconte, dans Peste et choléra (Seuil), les aventures d'un disciple de Louis Pasteur, Alexandre Yersin. Obsédé par Marcel Duchamp, Serge Bramly déploie Orchidée fixe à partir des 15 jours que l'artiste, fuyant l'Occupation allemande en 1942, passa dans un camp de transit à Casablanca (Lattès). Laurent Gaudé s'intéresse à Alexandre le Grand au moment où il faut lui trouver un successeur (Pour seul cortège, Actes Sud). Tierno Monénembo retrace l'histoire du résistant noir Addi Bâ, né en Guinée en 1916 et devenu chef de maquis dans les Vosges (Le terroriste noir, Seuil). Marc Durin-Valois s'intéresse à Claude Eatherly, le pilote d'un avion de reconnaissance météo qui a ouvert la route au bombardier atomique à Hiroshima, le 6 août 1945 (La dernière nuit du Claude Eatherly, Plon). Derrière un titre énigmatique - La vie rêvée d'Ernesto G. -, c'est bien Che Guevara que raconte Jean-Michel Guenassia (Albin Michel). La relation de dépendance entre Raymond Carver et son éditeur américain constitue la trame de Ciseaux de Stéphane Michaka (Fayard). Frédéric Pajak convoque la figure de Walter Benjamin dans Manifeste incertain (Noir sur blanc). Laurent Jouannaud, lui, imagine un nouveau destin à Kafka (Kafka, suite, Pascal Galodé). L'ancien ministre Bruno Le Maire a construit son premier roman, Musique absolue : une répétition avec Carlos Kleiber, autour du chef d'orchestre autrichien (Gallimard). Alban Lefranc raconte le cinéaste Fassbinder, la mort en fanfare (Rivages), tandis que Lilian Auzas s'attache à Leni Riefenstahl (Léo Scheer). Pour évoquer la Révolution française dans Trois visites à Charenton, Benoît Damon donne la parole à un personnage peint par Géricault (Champ Vallon). Il est aussi question de peinture dans le roman d'Alice Dekker (Chardin : la petite table de laque rouge, Arléa). Enfin, Anne Berest s'immerge dans l'association d'aide aux toxicomanes Le Patriarche, fondée par Lucien Engelmajer puis dénoncée comme secte par l'Etat (Les patriarches, Grasset).

L'AUTEUR EST REPORTER

C'est aussi l'actualité de l'année écoulée qui trouve un écho dans l'imaginaire des auteurs programmés à cette rentrée. Les pages politiques tout d'abord. Laurent Binet a ainsi suivi la course à l'Elysée auprès du nouveau président de la République, tout comme Yasmina Reza l'avait fait en 2007 auprès de Nicolas Sarkozy avec L'aube, le soir ou la nuit (Flammarion). L'auteur de HHhH livre avec Rien ne se passe comme prévu (Grasset) un récit subjectif des coulisses de la campagne de François Hollande. C'est à un autre socialiste que Stéphane Zagdanski consacre Chaos brûlant (Seuil), puisqu'il présente l'affaire DSK comme révélatrice de la démence de notre époque et fait de l'ancien directeur du FMI l'un des personnages de son livre. L'agitation internationale se retrouve dans le roman de Mathias Enard, grand connaisseur du monde arabe et du Moyen-Orient, qui s'est demandé, aux travers des personnages de Rue des voleurs (Actes Sud), ce que signifie avoir 20 ans à l'heure du « printemps arabe ». Ce sont les manifestations de la place Tahrir et la chute de Moubarak que vit Goma, l'un des adolescents au coeur des Rêveurs (Gallimard) d'Alain Blottière. La Québécoise Catherine Mavrikakis apporte sa pierre au débat outre-Atlantique sur la peine de mort avec Les derniers jours de Smokey Nelson (Sabine Wespieser), dans les couloirs de la mort à Charlestown. Enfin, les auteurs de la rentrée se nourrissent aussi des pages people, à l'image de Myriam Thibault avec Plagiat (Léo Scheer), qui relate un procès fait à un écrivain par son ex-compagne, suite à la publication d'un roman reprenant leurs échanges épistolaires. Une intrigue qui rappelle fortement la dernière affaire PPDA, attaqué par Agathe Borne pour Fragments d'une femme perdue (Grasset, 2009).

L'AUTEUR EST ANIMAL

Parfois le règne animal permet de saisir le fond de l'humain. Dans Une partie de chasse d'Agnès Desarthe (L'Olivier), les animaux sont doués de parole et, lorsque la virée entre chasseurs tourne mal, le récit réaliste se ponctue du monologue d'un lapin de garenne philosophe. Le metteur en scène Wajdi Mouawad, qui définit l'artiste comme "un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les oeuvres", est aussi auteur. Il signe Anima chez Actes Sud, où se croisent les monstres humains et les animaux sauvages ou domestiques qui prennent alors le relai de la narration. Pim, le héros de Comme une bête (Gallimard) de Joy Sorman, a une passion pour les vaches et suit une formation de boucher, détaillant l'anatomie bovine et malaxant la chair sanguinolente. Une chair animale que l'on retrouve chez Pauline Klein (Fermer l'oeil la nuit, Allia), qui met en scène un artiste créant à partir de viande avariée.

L'AUTEUR EST ACTEUR

La scène est un nouveau territoire du romancier. On sait l'importance des lectures publiques pour une auteure comme Emmanuelle Pireyre qui publie Féerie générale (L'Olivier), où elle radiographie la société contemporaine. Quatre pièces de théâtre de romanciers sont montées à la rentrée et éditées en parallèle. Flammarion diffuse Divorce party et Le lien, d'Amanda Sthers, joués à Paris en septembre, ainsi que la version théâtrale des Derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik, qui sera porté à la scène au théâtre Antoine, avec Patrick Timsit et Elsa Zylberstein, mis en scène par Gérard Gelas (qui a reçu un Molière en 2010 pour Confidences à Allah). Tout mon amour de Laurent Mauvignier (Minuit) sera créé par le collectif Les Possédés au théâtre Garonne à Toulouse en octobre, puis au théâtre de la Colline à Paris et dans sept autres lieux.

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