Le 4 avril dernier, la Cour d’appel de Paris a ordonné la suppression de passages litigieux dans toute nouvelle édition d‘un roman autobiographique, en même temps qu’elle accordait de substantiels dommages-intérêts à la demanderesse. L’auteure ainsi condamnée est notoirement connue comme… la nouvelle femme de l’ex-mari de la demanderesse. Vous avez suivi ? En clair, la dame n°2 réglait ses comptes avec sa prédécesseuse, par roman interposé, de façon plus détaillée que dans un tweet. Les juges ont retenu que « si certains passages peuvent être romancés, l’identification de la demanderesse n’est pas contestée. Cette dernière est clairement identifiable comme étant la première épouse du mari de l’auteur de l’ouvrage et par divers éléments qu’elle relève elle-même : elle réside dans le 16 ème arrondissement de Paris, elle s’est adressée aux autorités religieuses, elle a deux enfants du même sexe et du même âge que ceux du livre, le prénom de l’une n’ayant pas été modifié », etc. L’éditeur ne doit pas oublier qu’outre les biographies, qui constituent la majorité des cas d’atteintes à la vie privée rencontrés en dehors des affaires de presse, les autobiographies (ou romans autobiographiques) représentent un risque non négligeable. Les tiers y sont en effet régulièrement exposés à une publicité parfois non souhaitée. Les ex-conjoints se montrent souvent tout spécialement vindicatifs. Les héritiers bénéficient, en outre, d’une sorte de transmission à leur profit de ce droit à la vie privée de leur ancêtre. Là encore, les auteurs tentent de biaiser en modifiant souvent les noms ou en laissant seulement les initiales. Or, il a été jugé qu’« un artiste porte atteinte à la vie privée de son ex-époux en révélant dans un ouvrage autobiographique des faits et des épisodes relevant de l’intimité de la vie privée personnelle de ce dernier dès lors que, malgré le nom d’emprunt qui lui est donné dans ce livre, il est aisé de le reconnaître : description précise du personnage, révélation d’un précédent mariage et de l’existence d’un enfant issu de ce mariage, du comportement de l’époux avec son fils ». Il existe donc une sorte de principe, qu’un jugement remontant à 1982 résume assez bien à propos d’un livre autobiographique, poursuivi notamment par l’ex-beau-frère de l’auteur : « L’absence d’intention malveillante ou la recherche de soi-même, par l’écriture, à travers sa mémoire, ne saurait permettre la divulgation de souvenirs partagés avec d’autres personnes ou étroitement imbriqués à la vie privée de ces personnes sans leur consentement ». Par ailleurs, le 1er avril 1997, le tribunal de grande instance de Paris a relevé qu’un auteur ne pouvait « se prévaloir de sa célébrité internationale ou du caractère prétendument historique de ses mémoires », pour s’affranchir des règles relatives au respect de la vie privée. Mais les tribunaux sont aussi conscients de la barrière juridique que cela pose et qui entraverait toute tentative autobiographique. C’est ainsi qu’il a été jugé, à propos de l’autobiographie de Michèle Mercier, que « le principe de la liberté d’expression implique que l’auteur d’une autobiographie puisse rappeler ses souvenirs, évoquer celui des personnes qui ont partagé son existence et porter un jugement sur leur comportement, dès lors qu’il n’outrepasse pas les limites au-delà desquelles les atteintes sont manifestement intolérables pour ceux qu’elles visent ou concernent. (…) Si l’on peut comprendre et déplorer l’émotion et même l’indignation d’une famille ainsi atteinte par la révélation au public d’un épisode particulièrement douloureux de l’existence de cette famille, il demeure que M. M., à qui ces mêmes souvenirs appartiennent, pouvait librement les publier. » De même, à propos de l’autobiographie de Françoise Gilot, les magistrats ont estimé : « Considérant si, dans Vivre avec Picasso, Françoise Gilot a malgré tout révélé certains aspects inconnus de la personnalité du peintre, il est essentiel de remarquer qu’il ne s’agit pas là d’indiscrétions commises par un tiers, totalement étranger à la vie du personnage qu’il dépeint, mais de souvenirs recueillis au cours de dix années d’intimité avec un grand artiste ; que les secrets dont la divulgation est reprochée à Françoise Gilot lui appartiennent en propre pour une part, et que, même si cette œuvre ne présente d’intérêt pour le lecteur que dans la mesure où est mise en scène la personnalité hors pair de Picasso, il était malaisé pour son auteur, en raison même de l’extrême communauté de vie qui l’a uni à son modèle, d’opérer un choix parfaitement rigoureux entre les souvenirs qui étaient demeurés exclusivement les siens et ceux qui appartiendraient au domaine réservé du peintre. » Un village a attaqué en référé, en vain, un écrivain, originaire de ses murs, pour atteinte à la vie privée L’autobiographie peut aussi se retourner contre son auteur : chacun peut ensuite développer les mêmes épisodes déjà révélés par le principal protagoniste lui-même. Le consentement du sujet reste cependant, si ce n’est un fait exonératoire, tout au moins un fait très atténuant. Il a été cependant considéré, dans le cas d’une jeune femme qui avait publié son autobiographie en révélant qu’elle avait été adoptée par un célèbre acteur, qu’elle pouvait faire interdire à la presse à scandales de reprendre cette histoire, « dans la mesure où seule la personne concernée est habilitée à décider de faire ou laisser publier la relation des faits relatifs à sa vie privée dans les termes, le support et le contexte choisi par elle, de sorte qu’une nouvelle publication ne peut être faite sans son autorisation spéciale à cet effet ».