5 septembre > Roman France

Début des années 1980. L’Histoire n’est pas encore finie, mais, comme le siècle, elle fatigue. Un peu partout, il n’est plus question que de changer la vie, de l’invention du futur, de dissiper enfin les ombres du passé. Depuis la mort de Franco et le processus démocratique qui s’en est suivi, l’Espagne s’y emploie et la France lui est en la matière d’un soutien aussi zélé que déterminé. Puisqu’il n’y a plus d’erreur au-delà des Pyrénées, puisque la vérité triomphe, le gouvernement français décide de supprimer le statut de réfugié politique accordé jusqu’alors aux victimes et opposants au franquisme. Certains d’entre eux contestent cette décision et se pourvoient devant le Conseil d’Etat. C’est la commission des recours des réfugiés qui sera appelée à juger du bien-fondé de leur démarche. Un jeune juge administratif, nommé depuis peu dans cette juridiction, instruira le dossier des militants basques de la cause « abertzale », et notamment le plus douloureux d’entre tous, celui d’un certain Ibarrategui, impliqué des années auparavant dans l’assassinat d’un policier tortionnaire à Irun, ayant rompu depuis avec la lutte armée. En ces temps où sévissaient encore toutes sortes d’officines plus ou moins clandestines, parmi lesquelles les GAL (Groupes armés de libération) de sinistre mémoire, c’est plus qu’un jugement que devra rendre le juge ; c’est à un rendez-vous avec sa conscience et d’une certaine façon, son destin, qu’il devra déférer.

De la culpabilité naît parfois la littérature. La grande. Celle qui se coltine le droit et la justice, la politique et la métaphysique, la raison d’Etat et la déraison des hommes. Celle de François Sureau, ce juge au Conseil d’Etat devenu l’un de nos écrivains les plus estimables, qui avec ce glaçant et magnifique Chemin des morts nous offre le « rosebud » de son œuvre et peut-être de sa vie. Une soixantaine de pages, âpres, tendues, denses comme le regret, y suffisent. Dans un monde qui bascule, rempli de fantômes qui ne se laissent pas si facilement oublier, le droit et la justice font obstacle à l’humanité. C’est infiniment triste, comme un remords (un re-mort ?) trop longtemps refoulé. Olivier Mony

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