Écrire l'ailleurs. « Je suis de nulle part et de partout pour être moi-même. Je suis une caméléonne. Pas une renégate », écrit l'essayiste et journaliste Danielle Michel-Chich dans Nos exils. Dans cet ouvrage collectif consacré à l'exil féminin, vingt autrices francophones témoignent de leur parcours et des déplacements qu'elles ont vécus plus ou moins jeunes, entre des territoires plus ou moins éloignés. Qu'il s'agisse d'exilées pour raisons professionnelles, d'enfants déracinées qui se muent en « amatrides », de filles d'immigrés ou de femmes s'établissant ailleurs au gré de voyages ou de rencontres, chacune des écrivaines réunies dans ce livre traduit l'impact de l'exil sur son existence. Ainsi Marie-Rose Abomo-Maurin décrit son arrivée dans la France rurale depuis le Cameroun où elle donnait des cours de français après avoir suivi un enseignement religieux strict, confiée dès l'âge de 6 ans à des sœurs catholiques. Elle revient sur son apprentissage du français, l'interdiction de parler la langue de ses parents sous peine de porter le « symbole » autour du cou, et les coups de bâtons reçus lorsque des fautes de français étaient commises. Plus tard, en France, c'est son accent qui détonne et elle découvre l'expérience du racisme, qu'elle règle « avec l'humour et, souvent, avec un peu de cynisme ». Dans son texte « Une lune bleue », la romancière mauricienne Ananda Devi confronte ses propres souvenirs de l'exil familial avec ceux de ses sœurs, s'apercevant qu'elles n'ont pas la même version du récit en tête. « Nous nous regardons, comme séparées par un gouffre. [...] Quelque chose nous échappe. Une vérité. La réalité. Notre propre histoire. » Avec la disparition des aïeuls, c'est l'exactitude des événements tels qu'ils se sont vraiment déroulés qui rejoignent progressivement l'oubli. Restent des approximations parfois contradictoires selon les mémoires des descendantes. « Nous étions exilées de notre propre histoire. » Pour l'autrice et productrice radio Cécile Belleyme, l'exil n'est pas géographique. Elle aborde le mot et le thème, par la découpe des deux syllabes « ex-il », inscrivant son analyse dans sa « petite histoire ». Elle raconte que sa mère avait tellement voulu donner naissance à un garçon qu'elle ne s'était pas remise d'avoir eu une fille et l'avait habillée, coiffée, éduquée comme si elle en était un. D'où ce sentiment persistant « de flotter entre les repentirs ».
Le point commun de ces récits réside dans la puissance accordée à l'écriture et à la langue, qui apparaissent comme des refuges, des espaces pour se ressourcer dans l'expérience parfois vertigineuse et douloureuse de l'exil. L'autrice d'origine québécoise Madeleine Monette écrit : « Il me semble que l'instabilité, le dépaysement tant intellectuel que physique, une identité qui se sait mouvante et inachevée sont propices à la perplexité active de l'art. » Car face aux défauts de la mémoire, au sentiment de solitude ou de perte de repères, face à la nostalgie, « écrire depuis l'ailleurs » ouvre la possibilité de « se placer à la bonne distance », comme l'exprime l'écrivaine libanaise Georgia Makhlouf dans son récit « L'impossible voyage ».
Nos exils
Des femmes-Antoinette Fouque
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 15 € ; 190 p.
ISBN: 9782721014160