Si c'est une femme. Roza Robota n'est pas une héroïne. Elle transporte de la poudre pour faire sauter un bâtiment, mais pas n'importe lequel. Il s'agit d'un crématoire d'Auschwitz. Cette Polonaise fut torturée et pendue pour sa bravoure le 6 janvier 1945, à quelques jours de la libération du camp. Ces actes de résistance là où tout semblait impossible furent plus nombreux qu'on ne le pense. Chochana Boukhobza est partie sur la trace de ces femmes qui se sont rebellées, d'abord par des mots, des gestes puis des actes entre 1942 et 1945. L'écrivaine et documentariste a retrouvé des témoignages filmés rarissimes, des archives, des actes de procès. Pendant sept années, elle a vécu au milieu de ces déportées en se disant qu'elle leur devait bien cela. Le résultat est ce livre remarquable. On y entre, comme toujours, avec les précautions d'usage. Et puis, au milieu des horreurs et des carnages sans nom, on est vite happé par ce courage indescriptible. « Nous répondions avec insolence aux nazis. Nous avions compris qu'ils ne pouvaient nous tuer qu'une seule fois. » Ainsi parlait Frances Mangel-Tack, jeune Slovaque de 20 ans.

Ce travail imposant constitue une monographie sur trois années d'enfer vécues par ces femmes, juives et non juives comme la militante communiste française Danielle Casanova ou la religieuse allemande sœur Angela. L'autrice d'Un été à Jérusalem (Balland, 1986) raconte leurs histoires, comment elles sont arrivées là et comment elles ont ou non survécu. De tous ces témoignages, elle parvient à tisser un texte qui nous immerge dans la vie quotidienne de ces femmes qui ont perdu leurs noms (131 000 furent tatouées à Auschwitz-Birkenau), leurs cheveux, leurs souvenirs. C'est la grande réussite de cet ouvrage. Ce n'était pas évident. Il faut le talent de la romancière pour servir celui de l'historienne car il faut avoir le cœur bien accroché pour visiter cet enfer. Chochana Boukhobza relève la gageure de redonner de l'humanité dans le lieu où tout a été pensé et fait pour la détruire. D'où ce récit choral où l'on entend aussi la parole des bourreaux, un récit qui met des maux sur une histoire, qui sort avec beaucoup de délicatesse ces femmes de la nuit tragique pour les mettre en lumière et les rendre inoubliables.